• Yanvalou pour Charlie roman de LIonel Trouillot

    Yanvalou pour Charlie ( Ed. Actes Sud, 2009) , roman de Lionel Trouillot

     

    Un roman musical

     

    Le prix Wepler –Fondation la Poste de la sélection 2009 a été décerné  à Lyonel Trouillot pour son dernier roman « Yanvalou pour Charlie » ( Actes Sud) ; un roman dans lequel le personnage principal est un riche avocat de Port-au-Prince rattrapé par une enfance pauvre vécue dans un village de Haïti. Charlie, son double, son jumeau littéraire, est venu perturber son monde paillettes pour le ramener aux réalités de son pays, si pauvre mais si riche en solidarités.     

     

     

    Ce roman musical a pour cadre l'insaisissable cafouillis de la capitale d’Haïti, Port au Prince, avec ses déchirures architecturales et humaines. Charlie, le garçon d’un village oublié, vient frapper à la porte de la conscience de celui qui, pour effacer ses origines paysannes, se fait pompeusement appeler Mathurin D Saint-Fort dans le milieu fermé et obséquieux du barreau. Avocat en pleine ascension, soucieux de sa réussite personnelle, entre son Chef tout puissant et deux de ses collègues femmes qui ne vivent que d'apparences, ce Mathurin-là -  on le sent dès les premières lignes du roman -, n'est pas à l'aise dans son identité d'emprunt, de camouflage. Une guitare héritée d'un barde de son village natal oublié est, malgré ses fils usés, de tous les nouveaux bibelots de sa réussite matérielle, le seul « objet » qui ait encore une âme, plus que lui peut-être dans sa nouvelle vie. Que fait encore cette guitare des enfances anciennes dans sa vie d'avocat d’affaires ? La musique ne fait pourtant pas bon ménage avec ce monde fermé et froid, sans état d’âme. C’est que  l'instrument est encore capable de résonances lointaines. Compagne du vieux barde Gédéon, la conscience du village - honnêteté faite homme- porte,   sa caisse berce l'écho de l'enfant Dieutor qui a quitté son village de boue, son village de mer qui n'en est plus une, pour atterrir dans un orphelinat de Port au Prince où il est "enrôle" par d'autres enfants déracinés comme lui pour des descentes nocturnes conduites par Nathanaïel, l’intellectuel bandit du groupe d’enfants et d’adolescents qui se spécialisent dans les vols en tous genres dans les quartiers cossus de Port au Prince, là même où l’ex Dieutor tapi dans Mathrin D Saint Fort  tente d’effacer ses origines. Mais il se moque bien de son nom d’emprunt  et des attitudes empruntées de ses collègues femmes, arrivistes jusqu’au bout des ongles et de la Grande épouse de son Chef  qui fait ses emplettes festives à Miami sur le compte bancaire garni de son époux « épouvantail ».  Il en rit et trouve même à en faire l’objet d’observations scrupuleuses et humoristiques.

    Mais, cette drôle de vie ne pouvait tourner le dos à la misère ambiante. Celle des rues poubelles, des grabats, d’une population jetée dans les détritus par des gouvernances prédatrices. Mathurin D Saint Fort, alias Dieutor, la honte camouflée, pourra-t-il tuer en lui Dieutor et être enfin l’avocat respecté au nom composé affublé de la particule de noblesse. Non, le patronyme d’emprunt sonne faux comme les fils de la vieille guitare trop usés par les complaintes des gens de son village oublié des dieux et des hommes. D’ailleurs, il n’en a pas l’allure, encore moins la prestance ! Une identité de pacotilles dont le vernis injurie un pays balafré comme la joue de la sœur –mère de Nathanaïel, prénom aux douces consonances musicales et poétiques d’un braqueur à main armé et néanmoins tête « pensante » aux idéaux de partage et de justice. Dieutor contre Mathurin, Dieutor avec Charlie. Commence alors un retour dans les dédales d’une ville exsangue, affamée, dépotoir où la faim court les rues. Dieutor mal déguisé en pauvre a habillé de neuf « son protégé dérangeant ». Tous deux, comme l’un dans l’autre, entament l’inévitable retour dans leur boue d’origine commune,  les pieds hésitants de l’ex Mathurin dans les ruelles jonchés de pelures, sur un rivage jadis marin rempli d’excréments, les yeux fixés sur les baraques en tôles ondulés, incertaines demeures qui ont « fait »pourtant son enfance. Ils ne sont pas seuls à y revenir par cette traversée empuantie des origines. D’autres bandes marchent, trébuchent, à la recherche du magot volé, à la recherche aussi d’une enfance volée.

    Ces êtres, en mal de pays, malgré les souffrances, ne perdent pourtant pas espoir. Les enfants dessinent à la craie sur les portes fragiles de leur gît des étoiles à défaut de les voir un jour briller dans le ciel, ressuscitant le mythe du Vaudou, le Yanvalou qu’incarne le tribun du village, le Yanvalou de la terre ancestrale. Chacun des quatre personnages, Mathurin, Charlie, Nathanaïel, Anne, la sœur aînée dont Mathusin n’a pas oublié la berceuse rédemptrice « Dieutor, mon Dieutor » dit ses tourments, emprunte une voie, certes ardue, pour retrouver son passé, le reconstruire quand le souvenir n’existe plus, le quête au fond de soi, dans son double obsessionnel ( Dieutor/ Charlie). 

    Ce roman quatuor est un hymne à la terre haïtienne, africaine, en ce qu’elle a de sordide et d’attachant, de déracinant et d’enracinant. Sa beauté esthétique  réside dans sa polyphonie discursive ( Je/tu/il) et dans un rythme syntaxique   envoûtant.

    Rachid Mokhtari/CCF 

     

     

     


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