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    Extraits-Roman de Rachid Mokhtari : Imaqar

    Après « Elégie du froid » paru aux éditions Chihab en 2004 « Imaqar » est le deuxième roman de Rachid Mokhtari et son huitième ouvrage. Cet essayiste qui a consacré plusieurs titres à la musique et la littérature algériennes affirme une écriture romanesque épurée et un sens avéré de la narration. « Imaqar ». Roman. Editions Chihab, Alger, 2007. 240 pages.

     

    Tous les habitants mâles s’étaient attroupés sur la place du village Imaqar, baptisée par leurs aïeux Anar N’Boudrar, l’aire de Boudrar. Ce nom propre est resté dans les mémoires, mais personne, à ce jour, ne sait d’où il vient ; cette place vers laquelle du nord, déboulait une piste tout en méandres qui tenait plus du chaos d’un lit d’oued au sortir de l’hiver que d’un chemin à peine carrossable. Les gosses, braillards, les premiers, s’y étaient précipités, pataugeant dans des flaques d’eau, la plupart pieds nus, malgré le froid vif de cette brumeuse matinée d’un octobre qui faisait leurs délices : les églantiers laissaient tomber leurs fruits, parsemant les champs avec leurs petits chapeaux verts dont raffolent bêtes et gens ; et, plus que tout, il y avait les pièges à moineaux gavés de fourmis ailées déterrées de leur fragile abri. L’école pouvait attendre que cette saison prît fin. Ils couraient à qui mieux mieux vers la place, se bousculant sur le chemin principal du village. Un village bâti sur un mamelon de montagne, sur ses flancs nord et sud bordés de ravins, d’où jadis, racontaient les anciens, furent chassés les crapauds. Dans cette mêlée, on eût cru, n’étaient ces bambins, au passage tumultueux d’un troupeau de bêtes pressées, comme chaque matin en cette saison, d’aller brouter à satiété les herbes aux foisonnantes poussées. Les amphibiens, jadis maîtres des sources, avaient peu à peu cédé leur territoire au peuple de Nouh qui bâtit son village sur le lieu de leur reproduction. Les crapauds tentèrent, aux premiers temps de l’occupation, de résister en se massant près des premiers murs en pisé qui commençaient à donner forme aux habitations. Ils emplissaient la nuit de leurs coassements et, tôt le matin, empêchaient les femmes de faire provision d’eau aux sources dans lesquelles ils barbotaient ; le reflet de l’eau grossissant leur gueule aux yeux exorbités. Leur peau séchée aux soleils les plus torrides, soigneusement écrasée au pilon, servit des années durant à faire et défaire des amours jalousées, répudier une bru détestée ou faire revenir un émigré égaré dans les tripots de Barbès. Cette poudre de peaux de crapauds choisis parmi les plus gros, soigneusement mise dans de petits morceaux de tissus bien cousus, faisait des amulettes que les vieilles suspendaient dans quelque coin obscur de la maison, le plus loin possible des regards. On racontait que c’était à cause de cette potion magique d’anoures que les soldats envahirent le village et dépouillèrent les habitants de leurs terres fertiles. Cette malédiction allait-elle encore frapper Imaqar ? se demandaient les femmes qui virent de leurs patios la bande d’enfants qui traversait le village bruyamment, comme fuyant un danger imminent. Pressentant le malheur, elles fermèrent leurs portes et attendirent que le danger passât. Les vieux, la canne en avant, emmitouflés dans leur burnous d’un blanc jauni par la fumée de l’âtre, avançaient vers Anar N’Boudrar, vers leur passé. Ils se souvenaient quand, alors qu’ils avaient à peine quelques années de plus que ces bambins, ils couraient eux aussi à l’aube, il y a de cela plus d’un demi-siècle, vers le même lieu, à l’approche des fenaisons et surtout, des vendanges. Les propriétaires des fermes coloniales sillonnaient les villages et recrutaient à leur façon : ils installaient une estrade de fortune de manière à dominer la foule juvénile amassée et lançaient au-dessus des têtes couvertes de chéchias rouges des faucilles neuves, à la lame prête à mordre l’épi ou le cep. Les faucilles, lancées du haut de l’estrade, tournoyaient au-dessus des têtes des futurs khammès. Des mains crispées, affamées se tendaient vers le ciel comme pour une ultime prière, les doigts raidis, prêts à saisir la lame d’acier en demi-cercle qui, dans son tournoiement, devenait aussi tranchante que leur douk douk aiguisé. Celui qui réussissait à en attraper une, tournoyant dans sa course, sortait de la foule serrant la faucille sous son aisselle, de peur que d’autres villageois ne la lui prennent, et allait inscrire son nom en exhibant l’objet du labeur à un gendarme grassouillet, assis sur un monticule, tenant un gros registre sur ses jambes courtes. Selon son humeur, ce dernier attribuait des noms bizarres aux porteurs de faucilles qui, affamés n’arrivaient pas même à prononcer correctement leur patronyme. Et, comme le traducteur faisait peu de cas de l’exactitude de l’état civil, il dictait au gendarme des noms d’oiseaux, d’arbres et désignait certains par une particularité physique ou un handicap. (...)

    n parle d’une invasion de crapauds et, selon certaines rumeurs, elle menacerait réellement le village. — C’est une réalité. Pour le moment, le village ne veut pas que l’affaire s’ébruite. Les habitants ne veulent surtout pas entendre les gens qualifier Imaqar de « village de crapauds » Sornettes, il y va de leur honneur. Où en est l’avancée ? — Personne n’a le courage d’aller à l’endroit où ils prolifèrent. Une chose est sûre, ils sont là, ces ranidés. Ils avancent lentement mais sûrement. Qu’est-ce qui les attire vers le village ? Allez savoir ! D’après des rumeurs, mais chacun se plaît à colporter n’importe quoi, leur génétique a changé. Certains jurent qu’ils ont vu des crapauds nouveau-nés avec des queues. Du jamais vu. Peut-être ont-ils confondu avec des lézards.
     Il faut vérifier sur place. Je demanderai au Vieux de m’y emmener.
     Personne ne voudra aller là-bas. Ceux qui s’y sont risqués en sont revenus les jambes à leur cou. L’image est insoutenable. C’est un grouillement d’êtres difformes, de peaux visqueuses ; les troncs d’arbres sont recouverts de pustules et plus aucune herbe n’y pousse. Il cessa de pleuvoir. Le conducteur sortit, un chiffon à la main, décolla les essuie-glaces, essuya le pare-brise, maudit Satan et reprit la route. Le journaliste avait déjà pris quelques notes sous le regard méfiant du marchand de patates à la camionnette. (J’ai intérêt à ne pas en dire plus. On ne sait jamais. Et puis qu’en sais-je ? il m’a dit qu’il était de la région alors qu’il est peut-être un agent expressément envoyé par le responsable à la barbe hirsute. ) —J’espère que vous n’allez pas me citer. Pas seulement mon nom. Toute indication par laquelle on saura que c’est moi, la camionnette par exemple. Je ne veux pas avoir d’histoires ! Ils amorcèrent la piste crevassée et boueuse d’Imaqar. La camionnette patinait et le conducteur serra à gauche, frôlant presque les limites des champs. Le côté droit donnait sur le ravin des crapauds. Le pigiste, habitué au paysage, ne le regardait pas. Mais son regard fut attiré par un arbre aux racines noueuses où pendaient plusieurs morceaux de tissus, des touffes de cheveux et des casseroles de toute dimension. Le conducteur, qui commençait à recevoir de l’eau de pluie qui s’égouttait des joints usés du pare-brise, s’agitait. Ses genoux étaient mouillés et ses pieds glissaient sur les pédales. Il comprit, malgré tout, l’étonnement du jeune journaliste qui attendait le scoop du siècle. Le premier papier qu’il envoya ne fut pas publié. Il ne contenait aucune information, que des élucubrations. Son rédacteur en chef le lui avait signifié en lui rappelant qu’il devait impérativement distinguer le fait du commentaire. (...) Le Vieux eut peine à prendre un taxi vers la gare routière. Depuis qu’il s’était terré au village, il venait rarement dans la capitale où il avait pourtant beaucoup d’amis. D’habitude, il faisait le tour des librairies du centre ville, s’enquérait des dernières parutions nationales et étrangères. Il avait acheté, il y a quelques années, plusieurs romans de Gabriel Garcia Marquez. Il n’en avait plus le cœur. C’est à peine s’il avait jeté un bref regard sur la vitrine d’une des librairies du grand boulevard. Il aurait voulu demander à l’une des vendeuses, une belle blonde au verbe haut, quelque documentation sur les crapauds, la race des amphibiens de manière générale. Mais, il aurait fallu que la vendeuse fût seule et encore ! Et d’abord comment formuler cela à une jeune femme, faire ce genre de demande devant des clients ? Il en rougirait, perdrait son assurance devant le sourire narquois de la libraire qui répondrait certainement : « Non, Monsieur, on ne s’intéresse pas aux crapauds. Lors du dernier salon du livre à Paris, on a failli importer des livres de cuisine qui contenaient des recettes à base de grenouilles. » Elle lui aurait dit : « Finalement, on les a remplacés par une série qui s’est très bien vendue : Comment faire l’amour à une femme. On nous les aurait saisis à l’aéroport, c’est sûr. En nous accusant de vouloir délibérément avilir les habitudes gastronomiques de nos concitoyens. Mais cela dit, je suis sûre que, s’ils avaient été importés, on aurait vu s’installer des marchés de grenouilles qui auraient rivalisé avec les poissonniers et nos oueds auraient enfin été lucratifs. Cher Monsieur, je vous conseillerai de ne pas poser ce genre de questions en public, lui aurait-elle dit. On vous accusera de grenouiller. Nous avons assez de moutons, de boeufs, de toutes sortes de poissons congelés, vous comprenez ? » (...)

    Le portier jouait entre deux portes dont il tenait les clés au même titre que celles de la mairie. Il habitait un hameau près d’Imaqar et son épouse, une jeune paysanne de famille maraboutique, s’occupait de leurs trois enfants, des travaux champêtres, de son jardin potager. Quand son mari daignait la faire descendre au chef-lieu, c’était généralement pour des raisons médicales ou, exceptionnellement, les jours de fête, pour rendre visite à sa famille. Elle ne savait rien de la profession de son époux, mais elle en parlait dans son voisinage comme d’un homme important, qui avait ses entrées chez le maire. Des femmes d’Imaqar essayaient, par son intermédiaire, de débloquer une demande de permis de construire, d’obtenir un travail sur un chantier communal pour leurs fils et ne venaient pas la voir sans un panier d’œufs, cinq litres de la bonne huile qui guérissait tous les maux et, parfois, des coupons de tissus fins. Alors, elle faisait étalage des secrets d’alcôve que son portier de mari lui confiait quand elle le tenait en haleine dans leur couche. Elle se gonflait comme un paon zoukh zoukh devant ses admiratrices qui lui enviaient sa situation d’épouse d’un portier qui jouissait de la confiance du maire. Les héritiers Djeraï qui dépensaient sans compter dépêchèrent leur mère auprès d’elle pour lui glisser une grosse enveloppe pour les services rendus indirectement par son époux qui leur avait facilité l’entrée de la mairie et organisé pour eux, avec le premier élu, en cachette, plusieurs rendez-vous pour l’obtention des papiers établissant leur parenté avec Gérard. Ils ne pouvaient oublier ces faveurs dont elle était la représentante dans le réseau féminin d’Imaqar.

     S’il y un côté “déroutant’’ dans «Imaqar», le dernier roman de Rachid Mokhtari- et qui, probablement, va le placer en dehors des schémas produits au cours des ces quinze dernières années-, c’est bien ce retour à une thématique abordée au milieu des années 70 et qui s’est étalée jusqu’à la fin des années 80, une thématique que, pour résumer, l’on peut présenter comme étant le prolongement des effets de la guerre de Libération nationale.

     

     

    Amar Naït Messaoud

    «Imaqar», roman de Rachid Mokhtari

     Editions Chihab -Alger- 2007

    Source La dépêche de Kabylie

     

    Certains auteurs du Tiers-Monde ont parlé un certain moment de l’“échec des indépendances’’ suite aux travers ayant marqué la gestion des pays concernés dirigéspar une bureaucratie souvent inculte. Sans doute, la confiscation de l’Indépendance ne constitue plus un sujet porteur auprès d’une jeunesse happée par le vent de folie qui a soufflé sur l’Algérie à partir des années 90, bien que les nouvelles épreuves imposées à la nation ne soient que les errements subséquents à cette période et qui ont failli envoyer le pays en dehors de la mémoire et de l’histoire. La période tristement dénommée “décennie rouge’’ a sécrété elle aussi ses écrivains, ses chroniqueurs, ses analystes et, probablement, ses historiens. Nous serions, pour la grande précaution qu’il faut prendre par rapport à ces activités ou “métiers’’, tentés de les mettre tous entre guillemets, tant est privilégiée la voie de la facilité et mise sous le coude toute forme de réflexion profonde frappée du sceau de l’honnêteté intellectuelle.

    On a inventé un concept pour faire passer la nouvelle “esthétique’’ : la littérature de l’urgence.  Pour avoir échappé à cette stéréotypie, “Imaqar’’ se donne à lire comme une nouvelle façon de réinvestir et de revisiter l’histoire post-indépendance faite de crasse bureaucratie et d’injustices ayant produit ses humiliés et ses offensés. «Une bourrasque de stérilité intellectuelle avait soufflé sur le pays reconquis par des gargantuas» (page178).

    Néanmoins, aussi bien par la grâce de la trame de l’histoire que par les effets inattendus du schéma narratif,  nous sommes appelés à vivre un double émerveillement issu d’une “double rupture’’. En effet, le fil conducteur d’une problématique de l’identité, par laquelle se pose les notions d’étranger et même d’étrangeté, n’est pas d’un poids négligeable dans le déroulement de l’histoire et dans sa façon de réveiller nos sens et nos émotions. L’ambiguïté de la personne même de Gérard/Geraï  Saïd, les péripéties du retour de sa dépouille dans le village d’Imaqar et l’élucidation de son identité-constituant le dénouement même de l’intrigue du roman-, tous ces éléments, dans une tension extrême nourrie par une gradation narrative stressante, forment l’armature autour de laquelle va se tisser une allégorie mêlant surnaturel et mythologie. La malédiction vécue par le village Imaqar, à savoir une invasion de crapauds, est liée au “mythe fondateur’’ du village et s’est réveillée suite à la réception de la dépouille de Gérard/Djeraï Saïd.

    L’irruption du surnaturel/mythologique est pour le moins inattendue dans une écriture qui emprunte beaucoup au réalisme littéraire algérien des années cinquante. Mais, cette part de fantastique n’en ajoute pas moins une touche de “crédibilité’’ à l’entreprise narrative.  L’autre technique narrative, empruntant cette fois-ci au fondu-enchaîné du cinéma, a consisté pour l’auteur à mettre au début de son récit (pages 11 et 19) un texte en “arrière-plan’’, en caractère italique, pour nous placer dans une autre époque par rapport aux évènements racontés quelques lignes auparavant. Cela, nous   le saurons par la suite-c’est-à-dire au dénouement de l’histoire, est censé servir de clef pour connaître l’identité de Gérard/Djeraï Saïd.

    C’était au début du 20e siècle. Le fermier vigneron qui recrutait des vendangeurs dans Imaqar eut à employer un jeune garçon que l’attention de la fille du colon finit par déplacer vers la maison des maîtres. Là, il exercera plusieurs tâches domestiques, et ce qui devait arriver entre lui et la fille du patron arriva. Installés en France, le couple donna naissance à un bébé de sexe mâle. Cet épisode s’arrête ici et les péripéties de l’aventure de ce Gérard  en France ne sera connue qu’à travers des bribes racontées par d’autres acteurs, mais racontées par le moyen de retours en arrière, des flash-back. Entre l’ancien garçon d’Imaqar employé à la ferme coloniale et son fils Gérard Saïd, la relation de paternité ne sera dévoilée qu’aux derniers moments lorsque Le Vieux du village eut droit aux vraies pièces d’identité de celui qu’on vient enfin d’enterrer à Imaqar.

    Après la réception du cercueil par Le Vieux-ancien étudiant à la Sorbonne ayant regagné le bercail-, les habitants du village ont refusé d’enterrer Gérard dans leur cimetière. Un nom à la consonance étrangère qui sera à l’origine du déferlement des crapauds dans tous les coins de la bourgade. La malédiction se confirme pour les gens qui voyaient en cette dépouille une offense aux ancêtres et aux valeurs du village.  Les tentatives de rechercher l’identité du défunt dans les registres d’État civil  de la mairie a été une belle occasion de voir comment la nouvelle bureaucratie algérienne a pris racine, comment la corruption et toutes sortes de falsifications sont entretenues et exercées et à quel point les valeurs patriotiques communes à la collectivité sont perverties et utilisées pour tous les “ateliers’’. Nous ne sommes décidément pas loin de la Russie impériale décrite dans “Les Âmes mortes’’ de Gogol.  Le nombre d’acteurs étant fort réduit, il suffit néanmoins à mener l’histoire à bon port. Cette “économie’’ de héros est peut-être même une des raisons qui installent une certaine intelligibilité dans le texte. Il se trouve, en tout cas, que l’ensemble des questions par lesquelles l’auteur compte déranger notre fausse quiétude sont largement prises en charge et aboutissent à l’effet recherché.  «Malgré les accidents de l’histoire, le roman nous dit que l’art restaure la vie en nous, la vie que l’histoire, dans sa précipitation, a méprisée. La littérature rend réel ce que l’histoire a oublié. Et parce que l’histoire est ce qui a été, la littérature va offrir ce que l’histoire n’a jamais été. C’est pour cela que nous ne pourrons témoigner de la fin de l’histoire- sauf si la fin du monde survenait», déclarait l’écrivain mexicain Carlos Fuentes lors du 5e Festival international de littérature tenu à Berlin en novembre 2005.

    Avec “Le Survivant’’ de Mouloud Achour et “Les Chercheurs d’os’’ de Tahar Djaout, “Imaqar’’ s’emploie à poser des questions qui remuent notre mémoire et qui la délestent de son indolence, comme il continue l’entreprise de recherche de soi avec l’irruption de l’irrationnel ou du fantastique, instruments d’intervention littéraire permettant en toute évidence de surmonter l’absurdité de la situation.  «Nous ne pouvons approcher la réalité que si nous arrêtons de prétendre la définir une fois pour toutes. Les vérités partielles offertes par un roman sont un rempart contre les avis dogmatiques. Pourquoi donc les écrivains, considérés comme faibles et insignifiants sur le plan politique, sont-ils persécutés par les régimes totalitaires, comme s’ils étaient vraiment importants ?», conclut Fuentes. 

    Reste la langue ou le registre de la langue de Rachid Mokhtari, avouons que le style du journaliste ne manque pas de déteindre sur certains paragraphes ou parfois sur des pages entières. Cela n’entame bien sûr en rien le message du livre ni n’altère l’esthétique générale qui s’appuie sur de fortes valeurs sémiologiques.

    7 janvier, 2008

    Imaqar ou la trame d’une réhabilitation inachevée

    Enregistré dans : Livres à lire... — Hocine Lamriben @ 13:17

    Nouveau roman de Rachid Mokhtari 

     l'Alégorie au bout de la plume

     

      Après «Elégie du Froid» et les aventures bachiques et idylliques de son premier personnage, Rachid Mokhtari  vient de signer aux éditions Barzakh son second roman intitulée «Imaqar».L’intitulé désigne des batraciens.  Alternant écriture romanesque et pédagogique, notamment à travers ses essais consacrés à la littérature algérienne des années du sang, l'homme à la plume plurielle continue de sonder et d'interroger la Mémoire. Etudes sur la musicologie du tiroir, animations  radiophonique, écriture imaginaire : tout y passe. Chez Mokhtari, la passion de l’héritage culturel est dévorante. C’est dire que l’homme est investit d’une énergie créatrice inassouvie.

     Pour Imqar, l'histoire du roman prend de l'altitude au fils de pages. Elle s'ouvre, un bon matin d'octobre, sur l'arrivée intempestive de France d'un cercueil au village d'Imaqar, un hameau en Kabylie, portant la dépouille de Gérard-Said. Les villageois sont éberlués ne sachant que faire tant aucun n'a un brin de souvenance de cette personne à laquelle on interdit  de facto l'inhumation au cimetière des ancêtres. Les traditions sont encore rigides comme du roc. Comme un malheur ne vient jamais seul, le village, oubliée des hommes et des dieux, est menacé par l'invasion des crapauds. La terre vomit ses entrailles pour en faire des batraciens gluants, puants et surtout  menaçants. D'aucuns y voit le signe d'une malédiction avec l'arrivée du Mort. Un Vieux s'empare du sarcophage et décide obstinément de fouiller dans le passé mystérieux de ce revenant. La quête n'est guère une sinécure. Plutôt une chevauché enivrante et périlleuse dans les entrailles de l'absurde. Sollicités, les services de la mairie refusant de fournir des éclairages sur Gérard, accusent le Vieux de vouloir porter atteinte à la sûreté de l'Etat, en abritant le cercueil  d'un mort de surcroît au nom hybride. Un comportent qualifié d'hérétique  qu'il y a lieu de «réparer avec le châtiments des coupables», écrivait Mokhtari. Les menaces administratives instaurent un climat de peur parmi les villageois taciturnes à souhait. Le Vieux n'à que faire de ces bravades. Plutôt mourir que de surseoir à ce destin qui l'interpelle tel une sirène. Avec un verbe tantôt persifleur, tantôt imagé, Rachid Mokhtari accouche d'une esthétique savoureuse. Il ouvre la voie à une course poursuite haletante et hardie de la Vérité. Les chemins y sont dédaléens. Une vérité que des forces obnubilées par le pouvoir et l'opulence traîtreusement douillette tentent de mystifier à coups de discours patriotards.

     Le Vieux engage son ami B.B, un jeune journaliste du Jeune Indépendant sur les traces identitaires de Gérard.  L'enquête s'amorce à pas de tortue. Doucement, mais sûrement,  un voile fortement épais de mensonge et d’intrigue se dévoile. La Princesse, figure connu des milieux artistiques en France et vivant recluse et esseulée sur les hauteurs de la capitale, révèle avoir déjà rencontré Gérard par le passé. Ce dernier lui avait, autrefois, proposé de mettre à contribution une partie de sa fortune au service de la guerre de Libération nationale. Le Vieux, aux cotés des villageois, mène une ultime croisade contre les batraciens. La victoire est éclatante. Mis au parfum, les gendarmes accourent au village chercher la dépouille et enquêter sur les raisons du sinistre à l'origine de l'extermination des grenouilles. Wallou!” rien n'a gratté. Il faut dire que la fortune de Gérard a beaucoup suscité les convoitises et des rivalités politiques. Un jeune de la famille Djerai reconnaît avoir vu des archives établissant la filiation entre sa famille et celle de Gérard. Au chef lieu de wilaya, c'est le coup de théâtre à la réunion des officiels venus célébrer le 1 e  novembre. Vomi et inconnu, Gérard le mort qui dérangeait, est rétabli par Japoné, ancien maquisard, et la Princesse dans son statut de personne qui a contribué à la Révolution. Pris de panique, le maire court prévenir les dégâts auprès de la famille Djerai. Il délivre des documents falsifiés pour les Djérai dans le but de les soudoyer. Le coup est réussi. Des relations bassement mercantiles se tissent entre le maire et cette famille devenue soudainement opulente. Quoique accablé par cet accord tacite d'enrichissement illégal au détriment dune  mémoire malmenée, le Vieux organise une marche des anciens maquisards dans la capitale pour dénoncer le détournement des idéaux de Novembre. La marche est réprimée dans le sang. L'enquête est poussée un peu plus loin. Grâce au concours de la Princesse et du portier du maire, un personnage versatile, le Vieux et le Chauffeur de la camionnette lèvent  enfin le voile sur l'identité de Gérard : il est le fils d'un indigène marié avec la fille d'un vigneron. Liée à Imaqar, Gérard décroche auprès d'un chanteur célébrissime du village, exilé en France d'avoir une parcelle de terrain à Imaqar pour y être enterré une fois mort. Son rêve est enfin exaucé. Le Vieux, pour honorer le mémoire de Gérard, organise des funérailles  grandioses à la hauteur de l'engagement de Gérard en faveur de la guerre de Libération nationale. Esthétiquement,  ce roman présente une écriture truculente à la fraîcheur matinale. S’agissant de la thématique, Rachid Mokhtari mène une trame de main de maître. Il également part en guerre contre les fossoyeurs et les sangsues de l'Histoire. Ceux-ci, nombreux et bien tapis dans l'ombre, se sont octroyés illégalement des richesses insoupçonnables. Le procédé est vieux : corruption morale des mœurs et des idéaux de Novembre. «Un fleuve détournée», pour paraphraser le titre d’un roman de l’écrivain émérite Rachid Mimouni. Mokhtari met la main sur la plaie en révélant  aussi la terrible et cynique exclusion des cercles lumineux de la reconnaissance de certains enfants de l’Algérie. Ils sont nombreux  à être frappé d'ostracisme ou vues comme des pestiférés par l'inique sentence des gardiens du temple de la  morale. On peut citer le sort avilissant et scandaleux réservé aux Amrouche (Fadhma, Taos, Jean), Malek Ouary, Slimane Azem ou Cheikh El Hasnaoui, comme de terrible  exemples d'une exclusion inhumaine et froide. C'est dans cet encrier  de la révolte et de la réhabilitation de la mémoire exilée que Mokhtari trompe sa plume dégoulinante de vérité. 

                                                                                     Par Hocine Lamriben

    Rachid Mokhtari, Imaqar, CHIHAB  éditions 

    239 pages, 450 DA 

    JoURNAL HORIZON

    Promotion - Rachid Mokhtari signe son livre aux éditions Chihab : Une histoire racontée telle une pièce musicale

    25 January 2010 09:00:00 Kamel Chériti.

     

     

    Ecrivain et critique littéraire, Rachid Mokhtari vient de signer, cette semaine, sa dernière création dans le roman, à la librairie des éditions Chihab. Intitulé «L’Amante», comme pour le titre d’un poème, ce roman est le troisième écrit de cet écrivain, après «Elégie du froid» publié en 2004 et «Imaqar», en 2007 .

    «Il me faut un espace de temps d’environ deux ans et demi pour finir mon livre», déclare Rachid Mokhtari. C’est d’ailleurs cet intervalle qui le sépare de son précédent roman.  Ce talentueux homme de lettres ne se sent pas pourtant contraint d’écrire d’une manière permanente.
    Pour lui, ce qui compte, c’est le besoin de répondre à une inspiration, d’apporter sa contribution à mieux éclairer un phénomène de société, d’élargir le débat sur des questions d’histoire ou des points d’actualité. C’est pourquoi, quand Rachid Mokhtari présente ses œuvres littéraires, il préfère tenir une conférence où il remonte aux sources de ses thèmes d’inspiration. Dans ce cadre élargi, il est plus à l’aise pour exposer, analyser et parler de thèmes qui constituent les fondements de la création et de la pensée universelle ainsi que ses propres motivations d’écrire. Ici, Rachid Mokhtari est une véritable encyclopédie, particulièrement dans le domaine très vaste de la littérature. Par les illustrations et les exemples donnés pour parfaire son argumentation, l’auditoire devine la diversité et l’étendue de sa culture. 
    C’est d’ailleurs cette érudition, jointe à un esprit fin d’appréciation qui lui confère les outils d’analyse dans l’exercice de la critique littéraire. Rachid Mokhtari est ainsi souvent sollicité dans des tribunes culturelles pour animer les débats dans des rencontres littéraires en présence de l’écrivain même. Quant il s’agit de sa propre création littéraire, Rachid Mokhtari est humble. C’est pourtant un auteur au style élégant et finement nuancé. Son mode de narration captive. Ce dernier roman en est la preuve.  En l’élaborant, Rachid Mokhtari l’a construit, comme il le dit lui-même, selon la structure d’une pièce musicale.
    Cette structure s’établit en trois mouvements principaux, le prélude, le refrain puis les strophes. Il ajoute les effets subjectifs de la poésie. Cependant, dans le fond de son récit, Rachid Mokhtari fait apparaître bien souvent, les situations douloureuses de ses personnages. Des situations reflétant parfois les dures réalités de l’existence et insinuant une atmosphère de pessimisme. Le lecteur aurait aimé aussi vivre et partager l’euphorie de ses personnages dans les moments de joie et de bonheur. L’auteur a confié la publication de son roman à Chihab Editions.

     
    C’est la quatrième œuvre littéraire donnée à cette grande maison d’édition après le roman «Imqar», celui portant le titre de «L’élégie du froid» ainsi que l’essai publié en 2002 avec pour titre «Cheikh El Hasnaoui, la voix de l’exil.»

     
    La directrice de la publication chez Chihab éditions, Mme Yasmine Belkacem, convie les lecteurs à une autre rencontre littéraire qui aura lieu dans quinze jours.

     

     

     

     

    Imaqar
    Ou la mémoire oubliée
    Par : Yacine Idjer

     

    Identité n Après Elégie du froid, un roman paru en 2004 aux éditions Chihab, Rachid Mokhtari, essayiste également, renoue avec l’écriture romanesque avec Imaqar.

    Imaqar, qui vient d’être édité aux mêmes éditions, est l’histoire d’un village. Tout commence lorsqu’une ambulance ramène aux villageois un mort au nom hybride (Gérard Saïd)

     dont personne ne veut. Ce nom jeté, tel un pavé dans la mare, dans le quotidien de chacun, va troubler l’ordre établi : le conseil des sages refuse son inhumation au cimetière des ancêtres, car au nom à moitié occidental, l’étranger a apporté avec lui les crapauds, une invasion d’amphibiens. A la fontaine du village, les crapauds sortent par centaines du robinet, ils pullulent dans l’abreuvoir ; de nuit comme de jour, ils s’accouplent et se multiplient. Ce fait inhabituel, les villageois le voient comme une malédiction, une profanation des ancêtres. Le mort est un mauvais sort qui s’est abattu sur le village : il n’est pas question de l’inhumer dans le cimetière des ancêtres, parmi les bonnes gens. Tous les villageois sont unanimes là-dessus.
    Seul, le Vieux, figure tutélaire, puisque c’est lui qui a réceptionné la dépouille et a signé le récépissé mortuaire, se dresse contre la déraison des uns et l’absurdité des autres.
    Mais pour accorder à cet étranger une sépulture digne et respectable, le Vieux doit, de son côté – chose malaisée – élucider le mystère qui entoure Gérard Saïd. Il s’engage à enquêter sur l’identité de cet homme au nom hybride. Qui est-il ? Serait-il un fils du village ? Autant d’interrogations viennent se bousculer dans la tête du Vieux, le rendant ainsi perplexe.
    Pour le salut de l’étranger, le Vieux s’emploie, tant bien que mal, à recomposer l’échiquier. Dans ce tableau déroutant, d’autres personnages s’invitent dans cette quête et se proposent d’aider le Vieux dans son combat pour la restitution de la mémoire collective, celle d’Imaqar, une mémoire déposée dans les archives mais qui sont refusées d’accès aux citoyens.
    Ainsi, dans une écriture simple, un langage littéraire aéré mais pertinent de par sa charge sémantique, un langage où le fantastique le dispute au réalisme, le romancier s’emploie à dire la mémoire. Gérard Saïd est la mémoire du village. Il se trouve que tous l’ont oubliée.
    Gangrené par l’ambiguïté et l’amnésie, Imaqar, qui vit dans le flou et la perte des repères, est un roman politique sur l’identité collective – le livre est une écriture onomastique à travers laquelle se profile une société perdue dans l’oubli de soi. C’est aussi une société murée dans des superstitions séculaires et pervertie par des attitudes réactionnaires.
    Le roman est un regard authentique mais critique sur la réalité de l’Algérie : démagogie, discours officiels et creux, expropriation, mensonges et tromperies, intrigues, magouilles et tribulations de l’administration politique.

    Cet article a été publié le Mercredi 1 juillet 2009 à 19:30  

     


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