• Le village de l'Allemand, Boualem Sansal _ une horreur bicéphale

    Le  village de l’Allemand ou le journal des frères Schiller de Boualem Sansal

    Roman ( Gallimard, 2008)

     

    Le bicéphalisme de l’Horreur

     

    Le village de l’Allemand ou le journal des frères Schiller est au cœur des tragédies totalitaires du XXème siècle et de leurs effets à long terme sur le devenir du XXIème siècle. Avec ce roman de l’effroi, d’une généalogie rattrapée par un passé sordide que n’ont pu effacer ni les années d’héroïsme consacrées à la libération de la patrie, ni la barbarie terroriste, Boulame Sansal, après L’enfant fou de l’Arbre creux, Dis-moi le paradis et Harragas, revient à l’univers noir d’horreur de Le Serment des barbares par lequel il est entré dans la littérature par la cour des grands.

     

    Par Rachid Mokhtari

    C’est un massacre terroriste perpétré sur la population de Aïn Deb, un village dans la région de Sétif  qui déclenche un récit dialogique entre deux frères, Rachel et Malrich schiller. Leur père, Hans Schiller, ancien SS converti à l’islam et leur mère Aïcha ont trouvé la mort dans cet attentat, le 24 avril 1994, à 23h. Les deux frères, partis très jeunes en France, recueillis par leur oncle maternel, tonton Ali apprennent l’assassinat de leur parent par le biais de l’ambassade. Rachel l’aîné vit dans un pavillon, il est marié à Ophélie, travaille pour une firme internationale alors que Malrich, resté chez son oncle maternel, est confronté à la mal vie d’une cité de la banlieue parisienne rongée par la montée de l’intolérance des islamistes qui prêchent dans les caves. Rachel décide de retourner à Aïn Deb pour faire le deuil de ses parents, se recueillir sur leur tombe, cinq mois après le massacre terroriste, le 22 septembre 1994. Le voyage se fait sans encombres, mis à part les tracasseries administratives pour l’obtention du passeport vert.

     

    Les reliques gammées de Hassan Hans dit Si Mourad 

    Il arrive au village et retrouve la maison paternelle telle qu’il l’a laissée avant son départ en France. Là, il retrouve son passé, ses souvenirs d’enfant mais aussi un autre passé, celui de son père, aux antipodes de l’ancien résistant qu’il fut durant la guerre de libération qui lui valut les honneurs et le respect de tous les habitants de Aïn Deb. C’est un ancien SS, de la Wehrmacht, ayant servi dans les camps nazis d’Extermination. Natif de Landorf, un petit village de l’Allemagne profonde qui ne connaît pas, au moment où s’y rend Rachel, le mardi 22 mars 1994, l’horreur du terrorisme de la décennie noire et rouge qui a ensanglanté Aïn Deb.  Malrich découvre les reliques de l’abominable mais aussi celles du guérilleros des maquis de la libération. Il écrit : « J’ai longuement hésité puis j’ai ouvert d’un seul coup. Des papiers, des photos, des lettres, des coupures de journaux, une revue. Jaunis, écornés, tavelés. Une vieille montre en acier trempé, datant de l’autre siècle, arrêtée sur 6h 22A. Trois médailles. Rachel s’était documenté, l’une est l’insigne des Hitlerjugends, les Jeunesses hitlériennes, la deuxième est une médaille de la Wehrmacht, gaganée au combat, la troisième est l’insigne des Waffen SS. Il y a un morceau de tissu avec une tête de mort, l’emblème des SS, le Totenkopf. Les photos prises en Europe, en Allemagne sans doute, le montrent en uniforme, seul ou en bande (…) Sur d’autres, il est plus âgé, il porte l’uniforme noir des SS, il a le visage sévère (…) Des photos plus récentes le montrent avec des maquisards algériens, il porte un treillis et un chapeau de brousse. Il a pris du poids, il est super bronzé, ça lui va bien, il est dans une clairière, face à des guérilleros assis par terre. Des armes sont étalées sur une couverture. Il dispense un cours de maniement d’armes. Au sommet d’un mât de fortune, flotte le drapeau algérien… »

    Rachel se souvient de son enfance à l’écoute du père qui racontait l’accomplissement de son devoir de résistant dans les maquis de 1954 mais aussi d’un air et d’un ton enjoués, ses jeunes années dans la Wehrmacht. Rachel écrit dans son journal du 22 septembre 1994 : « Papa nous parlat beaucoup de ce devoir, il racontait son temps dans les Hitlerjugends, les grosses blagues des bons camarades, les réunions nocturnes bien arrosées, les grandes retraites au flambeau, puis le service dans la Wehrmacht, le départ pour la guerre…et le reste. Moi-même, quand j’étais petit à Aïn Debn j’ai été de la jeunesse FLN, les FLnjugends du pays, c’est obligatoire, et j’ai pas mal activé. Parfois, ça me manque, on était envoûté, on vilipendait à tour de bras, on défilait matin et soir, on épurait nos rangs avec entrain et on chantait nos victoires en hurlant avec les loups… ». Les deux termes construits sur la même racine de la langue allemande à savoir les Hitlerjugends et les FLnjugends sont assez signifiants quant au parallèle fait entre la fascisation des SS et des idéologies partisanes spécifiques. Boualem Sansal utilise ici la subtilité des ressources qu’offre la néologie par les mots même de Rachel qui fait en quelque sorte son mea culpa. Le terme de FLnjugends est réitéré dans le journal de Rachel qui a été lui aussi endoctriné. Rachel ne fait que constater, sous l’influence du passé démoniaque du paternel sa propre expérience d’une idéologisation dont les codes et les valeurs étaient proches du parti SS de « papa ».

     

    Sur les pas du père SS

    Dès lors, les deux frères Schiller ne s’intéressent guère aux faits d’armes du résistant, à son passé auréolé de glorioles durant de la guerre de Libération, à Si Mourad, son pseudo des maquis et de l’instructeur militaire qu’il fut après l’indépendance, mais à ses antécédents sordides de SS, de la croix gammée, des gazages d’Auschwitz. Comment ce père, réfugié dans ce village oublié du bout du monde, sorti de l’anonymat par un carnage terroriste, a-t-il pu cacher ce visage d’horreur, de tortionnaire nazi, jeune scientifique parmi d’autres, acquis à Hitler dans l’Extermination des Juifs, ayant participé avec obéissance et dévouement à l’amélioration des techniques de la mise à mort massive dans les camps de la mort ? Cette question lancinante mène les deux frères, Rachel plus que Schiller, à entreprendre un voyage dans la géographie du Mal, physique et introspective pour tenter de comprendre ce qui a pu entraîner et endoctriner la jeunesse de leur géniteur dans cet univers de la Shoah, de la déportation et de l’extermination des Juifs. Rachel écrit dans son journal de Mars 1995 : « La question me rend fou : papa savait-il ce qu’il faisait à Dachau, à Buckenwald, à Majdanek, à Auschwiltz ? Je ne peux plus croire qu’il fut victime, un  jeune innocent et fragile que le Mal a pris à son insu, ou contre son gré ». Rachel tente de se rassurer, d’innocenter son « papa » qui ne savait pas. Mais il est pris dans un cauchemar. Aïn Deb devient un camp d’extermination. Il crie, il hurle. Il appelle Ophélie. Elle l’a quittée. Elle ne veut plus vivre avec un mort-vivant, même pas un rescapé des camps : « Elle n’était pas là, elle n’est pas rentrée. Elle est partie. Le silence a quelque chose de surnaturel…Je l’entends, il sent le cramé, il colle à la peau. Un truc est tombé du canapé. Mon Dieu, ce bruit ! Un livre… Mein Kampf. Je suis allé dans le garage et je l’ai brûlé… »

     

    Rachel à son retour de Aïn Deb tient un journal durant près du 22 septembre 1994 à février 1996, soit près de deux années. Il se sent coupable à la place de son père. Il en porte la responsabilité et en conscientise le processus de diabolisation de la « banalité du Mal » selon le concept de Hannah Arendt à propos du procès en Israël d'Adolf Eichmann, criminel de guerre nazi. Il décide de suivre pas à pas le  sinistre cheminement de Hans Schiller ; ce qui lui vaut des difficultés dans son travail et la rupture avec son épouse Ophélie. Mais pis, il se suicide de n’avoir pu assumer l’héritage d’un père SS, ayant participé à l’extermination des milliers de Juifs. Son journal post-mortem est découvert par son frère Malrich dans le pavillon qu’il occupait avec Ophélie. Il est réparti dans le roman en six passages chronologiques : Le 22 septembre 1994, mars et avril 1995, juin, juillet et août 1995, le 9 mars 1996, les 10 et 13 avril 1996 et février 1996. Il se suicide le 24 avril 1996 à 23 heures, aux mêmes date, mois et heure, deux années après l’assassinat de son père et de sa mère par les terroristes islamistes. Auparavant, il aura entrepris de retrouver la trace de ce père qu’il voue aux gémonies en Allemagne, dans le village natal du paternel, à Frankfurt où il fut un brillant étudiant et à Auschwitz, sinistre SS. 

     

    La fratrie face à l’Horreur « paternelle »

    La répartition de son journal dans le roman n’est pas neutre. Elle est progressive ; à mesure qu’il s’approche de la Vérité, les détails de l’horreur déferlent dans les dernières notes du journal. C’est d’abord un récit de voyage à Aïn Deb emmuré dans le silence de la mort depuis le massacre terroriste puis la découverte des reliques des croix gammées, enfin le voyage initiatique de l’horreur dans laquelle a baigné son père qui laisse en héritage un passé complexe dans lequel il est à la fois bourreau, héros et victime. Mais à trop vouloir se lover dans le plus grand crime perpétré contre l’humanité, on finit soit par perdre la raison soit par la négation de soi, le suicide. Rachel ne fait pas que remonter les péripéties de la jeunesse SS de son père. Il s’y identifie au point de reconstituer dans le détail l’histoire insoutenable en lecture même des camps d’extermination. Les déportations, le tri, l’architecture des camps, des chambres à gaz, le génie diabolique mis dans la recherche des produis chimiques pour accélérer la mort massive et subite : « C’est en pensant à lui, à son travail si harassant, si peu gratifiant, que j’ai collationné tant d’informations sur les chambres à gaz et les fours crématoires. Je voulais savoir de quoi était fait son quotidien au service de l’extermination. J’ai aussi pensé  que juger son père exigeait que l’on sache ses crimes dans le détail, qu’on en qualifie chaque étape, et qu’on en reconstitue le déroulement au plus près. Il restera le chapitre des circonstances mais j’avais réfléchi à la question et je crois être arrivé à la conclusion qu’un homme phagocyté par le Mal qui ne se suicide pas, qui ne se révolte pas, ne se livre pas pour réclamer justice au nom de ses victimes mais au contraire s’enfuit, dissimule, organise l’oubli pour les siens, n’a pas droit à la compassion, à aucune circonstance atténuante… » Dans cette même partie du journal datée de Juin, Juillet 1995, Rachel s’intéresse au four crématoire, à la nature des gaz et à leurs expérimentations scientifiques sur des cobayes humains et il le fait froidement, sans état d’âme aucun, avec des détails techniques comme s’il s’agissait d’un traité scientifique avec des données mathématiques, soulignant par là même l’horreur inodore et incolore. La technologie de la mort n’a pas de limites. C’est un mode d’emploi : « Ainsi le Zyklon B n’avait pas toutes les qualités que lui prêtaient les notices du fabricant et le contenu des fûts, deux cents litres selon l’étiquette commerciale, présentait des variantes de volume assez sensibles pour compromettre une opération de gazage sur trois. On penserait évidemment aux inévitables fuites mais il y a d’abord le fardage que les sociétés amies du Reich, IG Farden en tête, pratiquaient pour arranger les statistiques destinées aux administrations de tutelle… »

     

    Son dernier voyage, la partie finale de son  journal, il l’entreprend à Auschwitz que visite les familles des victimes. Lui, le fils d’un bourreau du camp ose demander pardon à une vieille femme rencontrée sur les lieux. Comment « pardonner l’impardonnable » selon les propres termes du philosophe Jacques Derrida. Il se culpabilise du passé de son père et se donne la mort ; une mort symbolique qui se veut une rupture généalogique et historique. Comment survivre à tant d’horreurs qui hantent et salissent l’état-civil. Ce n’est guère l’auréole de Si Mourad, le vaillant capitaine combattant de l’ALN (l’auteur n’utilise pas ces sigles), ni même la victime des terroristes. C’est le bourreau, jeune SS qu’il fut qui met  les deux frères sur les mêmes rails des trains roulant vers les camps d’extermination.

    Le journal de Malrich, qui prend appui sur celui de Rachel, commence deux années après le massacre terroriste commis à Aïn Deb et cinq mois après le suicide de son frère grand frère Rachel. Il est réparti en cinq temps : octobre et novembre 1996, les 15 et 16 décembre 1996, janvier et février 1997. Il écrit à propos du journal de Rachel : « Dans ce voyage au cœur de l’horreur, Rachel a écrit des centaines de pages, elles fourmillent d’informations techniques très précises sur les stalags et d’histoires aussi incroyables que bouleversantes glanées ici et là, certaines racontées par les guides qui font visiter les camps, d’autres par d’anciens déportés qu’il a rencontrés dans tel ou tel camp, venus en pèlerinage… »

     

    Le Mal sous d’autres bréviaires

    A la différence de son frère aîné Rachel, Malrich se refuse à prendre sur soi le passé de son père. Il sait que ce passé n’est pas clos, qu’il ne s’arrête pas à 1945.  Il vit dans une cité de la banlieue parisienne infestée d’islamistes de cave. Une jeune fille, Nadia, comme d’autres Nadia gazées parce que juives a été retrouvée égorgée. Les prêches des interdits s’accentuent et l’imam de la cave 17 de sa cité n’est pas inquiété outre mesure. Il le rencontre et lui pose des questions qu’aurait pu poser Rachel à  son père SS. Que feriez-vous des gens qui seront contre votre règne totalitaire ? Les gazer ? les exterminer ? L’imam justifie le supplice par la volonté divine mais finit par avouer les mêmes desseins que le bréviaire de Hitler : « Ce sont des méthodes barbares (celles des SS). Allah ordonne de tuer les infidèles selon le rite musulman ».

    Alors que pour Rachel l’abominable s’arrête dans le passé de son père, de son ascendant, Malrich vit une situation annonciatrice des mêmes horreurs commises par Hans, Si Mourad, il y a un demi-siècle, en dépit du procès de Nuremberg. Deux visions s’affrontent sur les idéologies totalitaires. Celle de Rachel restée dans l’histoire affective et effective d’une filiation rompue et celle de Malrich qui se rend, chevillé, à l’évidence que le passé SS de son père n’est pas un fait circonscrit dans un passé mais trouve son ascendance dans toutes les idéologies totalitaires, toutes en puissance de régénérer l’holocauste. Rachel écrit : « Qu’on songe à tout ce qui a pub être infligé à tant d’honorables peuples avec des bréviaires aussi nuls que Mein Kampf, et des moyens dérisoires de pays plutôt sous développés : le livre rouge de Mao, le vert de Kadhafi, celui de Kim Il-song, celui de Khomeiny, celui des turmenbachi Saparmourat, qu’on songe aussi à ces millions de pauvres gens détruits par des sectes misérables en idées et en moyens… »

    Mais les deux frères se rejoignent sur des faits présents, bien de leur temps. Scandalisés par le fait que leur parent soit enterré, l’un sous son pseudonyme de guerre, l’une sous son nom de jeune fille, comme pour cacher le patronyme des époux Schiller, ils écrivent aux autorités algériennes et demandent réparation de cette usurpation patronymique. Comme Rachel, Malrich entreprend un voyage à Aïn Dib, dans d’autres conditions. Il n’est pas reçu de la même manière que Rachel. Il écrit  dans son journal du 15 décembre 1996 : « Je passe sur les détails, j’ai commis la bêtise de gratter à la porte  au   lieu de toquer carrément, ce qui a provoqué des mouvements furtifs à  l’intérieur de la maison, suivis d’un conciliabule affolé, puis d’un début de panique quand, au lieu de me présenter franchement, j’ai chuchoté entre mes mains : Mimed, ouvre, c’est moi, Malrich… Malrich est mon surnom en France, il n’a pas court ici il a été compris comme un mot de passe ou quoi d’autre ; Puis tout est rentré dans l’ordre, j’ai parlé clairement, je me suis identifié officiellement. C’est Malek, le fils de Hassan et de Aïcha, le frère de Rachid… » La situation sécuritaire s’est dégradée dans le pays. Dans les descriptions qu’il donne des contrôles serrés par la police des frontières, Boualem Sansal reconduit avec exagération les termes de Gestapo, de déportation, qui sortent de leur contexte historique de l’horreur pour chuter dans une acception qui se veut ironique mais, somme toute, anecdotique : « Mon Dieu, que ce fut long, ces papiers, ces Ausweis, ces contrôles, ces attentes, ces chicanes, on dirait qu’ils ne rêvent que de ça, les bonzen d’Alger, torturer les gens. Une vraie Guestapo… » Le regard de Rachel s’arrête au paternel, à l’ascendance de l’horreur fasciste alors que celui de Malrich se projette sur la descendance, la progéniture des SS sans pour autant faire le procès de son père.

     

    Le brouillage des strates historiques, mêlant le bourreau, le héros et la victime a - t-il induit l’usurpation patronymique de Hans enterré sous son pseudo, de ses enfants naguère Rachid et Malek devenus Rachel (de consonance juive) et Malek devenu Malrich (de consonance allemande) ?

    Ce roman de construction esthétique originale, bâti sur deux voix fratries sur le passé d’un père qui fut SS, exterminateur des Juifs mais aussi grand combattant de la guerre de libération, assassiné des années après l’indépendance du pays par les terroristes à Aïn Deb, illustre parfaitement le bicéphalisme, voire le « polycéphalisme » de l’horreur dans tous ses étalages historiques et actuels. Le passé de Hans Schiller, c’est le soldat musclé de l’Allemagne Nazie, de la croix gammée mais aussi le combattant de la Libération. Les deux jumelés ont-ils un rapport ? Entre le sordide et l’héroïque qui, pourtant, toujours se côtoient dans l’histoire de l’humanité? Le soldat SS ternit-il l’image du combattant de libérateur ? Ce dernier efface-t-il l’horrible de la Shoah ? Hassan Hans a –t-il été un « juste », n’a-t-il fait qu’obéir au devoir avec la détermination de ceux qui savaient pas où étaient destinées les cargaisons ferroviaires ?  Le massacre terroriste a eu raison des deux. Boualem Sansal injecte des doses d’absurdité dans les deux journaux des héritiers de Si Mourad, alias Hans Schiller. L’auteur de Le serment des barbares a réussi un tour de force littéraire en se gardant de recourir à un discours extralittéraire là où tout n’est qu’idéologie politique. Par cette mise en forme dialogique, il donne la parole à deux frères, à des héritiers de cette histoire mouvementée  que livre Aïn Deb au sortir d’une nuit meurtrière.

     

    Rachel et Malrich, Rachid et Malek ne sont guère complaisants face au passé SS de leur père ni même face à leur destinée. Rachel refuse d’être le chaînon de l’horreur. Il se suicide, c’était pour lui la délivrance. Malrich affronte les imams de Hitler dans sa banlieue parisienne. En aura-t-il la force ? L’alternance des deux journaux, graphiquement distingués apporte peut-être une réponse au Mal dans une vision rétrospective (Rachel, prénom féminin biblique, d’étymologie hébraïque) et prospective (Malrich, de consonance allemande). Malrich écrit : « Nous sommes de mère algérienne et de père allemand, Aïcha et Hans Schiller. Rachel est arrivé en France en 1970, il avait sept ans. Avec ses prénoms Rachel et Helmut, on a fait Rachel, c’est resté. Moi, j’ai débarqué en 1985, j’avais huit ans. Avec mes prénoms Malek et Hulrich, on a fait Maqlrich, c’est resté aussi… »

     

    Ce roman puise sa force du fait même qu’il choque le lecteur et le dérange dans ses préconçus historiques et dans sa mémoire ou sa culture formatée aux idées reçues rétives dans la destruction de réalités sacralisées. La mise en contiguïté, voire l’interpénétration du soldat SS et du combattant de la guerre de libération ne relève pas de la pure fiction et ne procède pas du blasphème. Elle prend appui sur des réalités historiques restées tues au nom même de cette sacralisation. 

     

    Est-il opportun de s’interroger sur le contexte politique de sa parution marquée par l’intérêt manifeste du l’actuel Président de la République française à l’endroit privilégiée de la communauté juive, vivement critiquée par Simon Veil ou par l’insurrection des banlieues françaises toujours d’actualité ? Gardons-nous cependant d’occulter la richesse documentaire et énonciative de ce roman où se croisent deux voix les plus actuelles de l’Algérie entre un village perdu du pays profond, Aïn Deb et les capitales occidentales où le Mal a pris racine…

     Rachid mokhtari ( Revue Passerelles)

     

     


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