• Algérie News Entretien

    A propos du  roman l’Amante (Ed. Chihab 2009)

    Dans quelle mesure l’écriture intimiste constitue pour vous en tant qu’écrivain une sorte de délivrance ?

    Il n’y a pas d’objectivité dans la création romanesque. Le romancier est un producteur d’émotion et, comme tel, son monde appartient à la sphère de l’imaginaire et il évolue dans l’intime des gens, de ses lecteurs. J’entends par ce mot « intime » non pas « la vie privée » mais tout ce qui relève de l’émotionnel, voire du « ça » des êtres, leur subjectivité. Ce côté « intime de toute entreprise romanesque qui la subjectivité des personnages s’exprime dans le poétique, dans les ressources insoupçonnées de la prose poétique en ce qu’elle regorge de magie verbale, de prosodie et de beauté esthétique. Cet aspect de l’intime est également une rythmique syntaxique, une musicalité phraséologique. Mais ce n’est pas pour autant que c’est une écriture introvertie, fermée sur le monde et ses soubresauts, ses calamités, ses misères, ses guerres, ses injustices. L’intime permet de les dire dans une vision humaine, humaniste. Mais cette sensation de l’intime n’a pas le pouvoir de la délivrance. Le roman n’est pas une thérapie, un remède. Au contraire, il creuse le doute, amplifie les interrogations, accentue les révoltes et ne se prête pas aux endoctrinements quels qu’ils soient. Le roman est liberté, insurrection du mot. En ce sens, la création romanesque relève de l’intime car l’intime, comme l’imaginaire, ne peuvent être domptés, polis, amadoués ou corrompus.

    Ecrivain et intellectuel algérien que vous êtes, quel  rapport entretenez-vous  avec la dimension historique des événements d’il y a  plusieurs années racontés d’ailleurs dans votre dernier roman?

    Dans l’Amante, deux guerres se succèdent. L’une finit au moment où commence l’autre. L’armée française défaite à Dien Bien Phu, au Vietnam, est pourtant toujours puissance coloniale en Algérie. Au moment de sa débâcle, l’insurrection algérienne éclate avec ceux qui ont servi cette même armée contre Hitler mais aussi contre la résistance vietnamienne. C’est apparemment illogique, absurde. Mais les entreprises coloniales mènent au chaos, à des situations surréalistes. Kaputt, le célèbre roman de l’écrivain italien Curzio Malaparte, tout entier consacré à la deuxième guerre mondiale, montre éloquemment, le côté fantoche mais aussi festif de cette tragédie mondiale. Mon personnage, Omar, Sergent chef de l’armée française se retrouve dans les maquis d’Imaqar  comme s’il avait changé de camp à Dien Bien Phu où il aurait été avec les viets des rizières. Mais, ce n’est pas un politique ni même un guerrier. C’est un jeune homme qui tente de s’en libérer pour vivre un amour tissé par Zaïna, son amante. Cette dimension subjective semble en opposition avec le contexte historique, ses codes, ses normes. Ce personnage n’est pas un héros, n’a pas de vision héroïsante, utilitaire de ses années de combat. La relation qu’il entretient avec les maquisards, le maquis, échappe au discours idéologiques, au formatage du « héros » tel que les postindépendances le donne à lire : les maquisards ne sont pas des gens qui vivent, avec leur faiblesse, leur courage parfois, leur rêve, leur amour, leur traîtrise. Je déconstruis, ainsi, le mythe du héros qui fait apparaître la guerre de libération et toutes les guerres de libération comme l’œuvre d’ « extra-terrestres », insensibles, immortels et sans âme. Au contraire, en recouvrant sa dimension humaine, son intime, elle n’en devient que plus signifiante tant il est vrai que ce sont des hommes et des femmes comme vous et moi qui l’ont faite. L’Histoire se libère dans le roman et ses événements ne servent à aucune justification idéologique ou gloriole. Elle est l’espace tragique d’une aventure humaine, celle de Omar pour lequel Zaïna a promis le tissage d’un burnous avant l’arrivée de son retour printanier. Dans les guerres, il y a toujours des Zaïna qui leur donnent, non pas du sens ( sémantique) mais éveillent les sens de ceux qui vivent la mort au quotidien. Mais, l’Histoire ne les reconnaît pas. Mieux, elle les injurie. Se peut-il qu’un maquisard puisse avoir une amante ? L’Algérie est-elle une amante ?  Est-ce la raison pour laquelle c’est Omar qui meurt foudroyé d’une rafale de mitraillette au moment où Zaïna retire de la trame du métier à tisser le burnous. Vidées de leur dimension humaine, de leur « intime », les guerres de Libération ne sont plus nourricières de libertés, d’amours mais sont – elles le sont devenues – des totems, génératrices d’interdits, de menaces et de peurs.

     

    Vous dites que le travail de mémoire n’est pas encore à l’ordre du jour  du moment où en Algérie nous sommes un continuum  de générations de guerre. L’Amante riche en indices spatio-historiques, n’est – il pas une tentative d’écrire l’Histoire et l’histoire, donc une écriture de mémoire ?

    Nous sommes toujours dans un continuum de tragédies. C’est pourquoi la terminologie fallacieuse de « devoir de mémoire » est dangereuse. Les Algériens comptent aujourd’hui, toutes générations confondues, dans une même famille, des vétérans de la Seconde guerre mondiale, des maquisards de 54, des insurgés de 1980, de 1988, de 2001, des bourreaux et des victimes du terrorisme islamiste. Parmi les jeunes algériens nés et ayant grandi dans la sauvagerie terroriste et qui ont aujourd’hui vingt ans, écriront à leur manière l’histoire des massacres terroristes qui n’est pas encore faite de l’intérieur, c’est à dire de ses lieux intimes. Le « devoir de mémoire » suppose que les bourreaux sont châtiés, traqués comme ces anciens SS de part le monde. Il paraît loin notre « procès de Nuremberg ».

    Le point de vue anthropologique dans votre roman L’Amante  est très présent : des personnages mythiques, le tissage, le burnous...pouvez-vous nous élucider la portée d’un tel point de vue dans votre texte ?

    Vous faites bien de relever la dimension anthropologique du roman. Les événements de l’histoire, racontés dans leur immanence, n’ont pas d’intérêt. Ou alors, ils deviennent des témoignages bruts qui perdent leur actualité. Or, l’espace romanesque confère à l’histoire ses propres imaginaires, ses propres inscriptions métaphysiques. Tamzat, la tisseuse invisible ou Tazazraït, la multi centenaire qui veille sur les burnous généalogiques des ancêtres, Zaïna qui carde sans répit la laine de ses amours, ce burnous mythique des anciens cavaliers de toutes nos Résistances à travers l’Histoire, ces personnages sont une pure création romanesque qui, par ces mythes, ces légendes, ces rites, n’est pas assujettie à l’Evénement, au réel historique. Ce réel historique n’est pas la matière première du roman. C’est un référent, un contexte sptaio temporel comme vous le dîtes. Le mythe prend de plus en plus de significations dans la critique littéraire. C’est le mythe qui fait l’œuvre, le texte, son tissage. Bien sûr, la convocation des mythes tient de la culture propre à l’individu-écrivain, à son monde référentiel livresque mais aussi à son écriture de l’intime.

    Quelques mots berbères et arabes  dans votre texte  l’Amante en italiques mais jamais expliquer en bas de texte. Y a-t-il une quelconque arrière-pensée littéraire ? 

    C’est un roman et cette technique est aujourd’hui dépassée. Dans les romans des années cinquante, les éditeurs insèrent un glossaire pour expliquer les mots « étrangers » à la langue française. Or, aujourd’hui, la linguistique textuelle montre que le mot emprunté de la langue source est compris dans son environnement syntaxique. Il n’est donc nul besoin de recourir au métalangage.

    Votre récit est quelque part esthétiquement fragmenté.  N’est –il pas à l’image d’une réalité historique déchirante ?

    Oui. Cette dimension chaotique est le propre des écrivains qui vivent dans une société en perpétuel bouleversement. Mohamed Magani, écrivain, parle d’activité sismique de l’écriture romanesque. L’écrivain haïtien, Dany Laferrière, dont le village natal, le Petit Goâve, à Port au Prince, a été complètement détruit par le séisme, n’aura sans doute pas les mêmes mots pour le dire comme il l’a fait dans un de ses premiers romans Une odeur de café. Les centres telluriques sont nombreux, les répliques autant. Mais comment maîtriser le chaos si ce n’est par sa fragmentation même.

    Les chapitres en italiques- qui viennent intercaler  le texte premier-  seraient ils  là pour saluer un texte en fragmentation ?

    Les chapitres en italique ont plusieurs fonctions : documentaire pour les carnets sur la bataille de Dien Bien Phu, épistolaire ( les lettres familiales, intimes)…Le procédé es courant et n’a pas d’originalité.

     

     


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  • Liban, de Yamilé Ghebalou-Haraoui ( ed. Chihab, 2009)

     

     

    Acteurs de la guerre civile au Liban, Omar, garde de corps, tireur d’élite algérien, Esmet Nour, une jeune libanaise qui vole au secours des enfants victimes du conflit, Kamel, la figure de proue, le Da’i, qui prône l’union et la tolérance, se rencontrent plus dans leur propre tragédie que par les nécessités du conflit.

     

    Une guerre civile et des identités mutilées. 

     

    Liban, tel est le titre géographique du récent roman de Yamilé Ghebalou-Haraoui, universitaire, spécialiste des littératures africaines, qui a déjà publié deux recueils de poèmes Kawn ( ed Dahleb) et Demeure du bleu ( ed. Hibr) ainsi qu’un recueil de nouvelles Grenade ( ed. Chihab). Liban est son premier roman dont la fibre poétique est aussi fine et ciselée que celle de ses précédentes plaquettes. Terre élue de poètes, quoi de plus attendu que Liban transporte la tradition esthétique de l’Orient. Ce qui l’est moins, en revanche, est le fait que c’est sans doute la première fois qu’un écrivain algérois situe la trame narrative d’un roman hors de l’ex-métropole, la France, ou autre pays faisant partie des pays anciennement colonisateurs et dominants.

    Avec ce roman, l’auteur change de trajectoire géographique à la littérature algérienne trop souvent collée aux lieux de l’Histoire coloniale plutôt qu’à une géopolitique nouvelle et dont l’actualité interpelle le monde arabe et maghrébin du 21ème siècle. En effet, peu d’écrivains algériens, des fondateurs (hormis Mohamed Dib) jusqu’aux plus récents, toute langue d’écriture confondue, ont placé ou placent leur littérature dans un pays autre que ceux de l’Occident. Est-ce pour cette raison que les romans de Yasmina Khadra, pour ne citer que L’attentat, ont connu un succès éditorial ?

    Liban se veut donc une rupture du cadre géographique et historique du roman algérien. Et, plus encore, une rupture esthétique dans la construction des personnages.  La trame narrative se déroule au Liban, à Beyrouth, lors de la guerre civile des années mille neuf cent quatre vingt. Omar, le protagoniste, d’origine algérienne, est un garde du corps professionnel, un tireur d’élite qui, après avoir bourlingué à Tunis, Paris, se retrouve au cœur du conflit au Liban non par patriotisme mais comme une sorte de mercenaire étranger à la cause. A ce titre, il est garde du corps de Kamel, une figure de proue Druze, un Da’i, un idéaliste qui prône, avec ferveur et dévotion, dans un mysticisme qui échappe à Omar, l’entente des parties en conflit. Il est assassiné et Omar porte dans sa conscience cette mort, se reprochant, lui tireur d’élite, de n’avoir pas pu le protéger dont c’était la mission, pourtant.

    A son contact, et tout au long du récit, Omar qui ne connaît que le langage des armes, s’humanise en quelque sorte, se remet en question, doute, pénètre l’idéal de Kamel, tout entier tendu, au-delà, du conflit armé, vers une sagesse insaisissable, une utopie salvatrice, une prophétie démiurgique.  Est-ce au contact de Kamel, personnage charismatique, l’impénitent Da’i qu’il redécouvre, ressent, ses origines, jusque-là éparpillées, défaites, oubliées dans le jeu mortel de la gâchette facile. Au cœur du conflit, le spectacle quotidien de la mort violente, il se rappelle alors sa ville « maternelle », le drame de son enfance et celui d’un pays meurtri par le terrorisme.

    Ce tireur d’élite essuie un cuisant échec, celui de n’avoir pu éviter la mort de son Maître. Le sens même de sa profession de garde du corps, sans état d’âme, est remise en cause. Comme pour se racheter ou aller lui-même au défi de la mort, il accepte une mission périlleuse. Servir de garde du corps à Esmet Nour, une jeune libanaise richissime qui décide au péril de  sa vie, de jeunesse pourtant comblée, branchée aux dernières réclames de la mode, d’aller dans les montagnes libanaises, sauver des enfants parqués dans des camps, otages du conflit. La mission est dangereuse. Omar le sait. Mais les paroles de Kamel ont donné un autre sens, une autre épaisseur à son existence.

    Au  terme de la mission, le convoi qui a réussi à délivrer quelques enfants est pris dans une embuscade. Esmet Nour et les enfants s’en sortent. Omar est aux premières lignes de la défense. Il est mortellement blessé.  Conçoit-il la mort comme une délivrance ?

    Omar, Esmet et Kamel porte, en chacun d’eux, des blessures intérieures communes dans une situation de guerre désastreuse, sans objectifs précis, sinon celui de l’intolérance. Dans l’actualité qui les emporte dans ses événements, ils se retrouvent face à eux-mêmes, déclinent leur identité cachée, une intériorité vraie. Dans de nombreux passages en italique, le lecteur lit ces personnages à travers leur « je » respectif, déconnecté de la matérialité du conflit.

    C’est en ce sens que cette rupture s’énonce dans la construction littéraire de ces personnages qui, loin d’être des protagonistes « utiles », idéologiques, servant de moteur à la guerre, vivent une autre tragédie, la leur. Esmet Nour n’a pas eu d’enfance malgré la sollicitude de ce parent richissime. Elle se lance corps et âme dans le sauvetage des orphelins de guerre. Comme elle, Omar, n’arrive pas à oublier le malheur maternel dans son pays qui « tue » au point où lui-même est devenu « tueur professionnel ». Kamel, dans sa ferveur, a vécu une cassure des origines. Il a plaidé pour l’union, la tolérance au cœur de la désunion et de l’intolérance, des « identités meurtrières » (Titre de l’essai d’Amine Malouf sur ces questions) . Situés hors des déterminismes idéologiques, ces personnages de Liban donnent à réfléchir sur la place de l’humain dans l’inhumain, d’une poétique dans la tragédie, d’une esthétique qui replace l’homme dans ses interrogations au moment où il fait face à de fausses certitudes.

    Cette quête de l’humain, de ses désarrois, de ses violences mais aussi de ses appels à l’union et à la tolérance trouvent leur expression dans son précédent receuil de nouvelles Grenade paru aux mêmes éditions.

    L’auteur, maitre de conférence à l’université d’Alger ( Bouzareah) a écrit de nombreux articles dans des revues spécialisées dans les littératures africaines.

    rachid mokhtari


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  • Un parfum de vie, d’Adriana Lassel ( Ed. Tala, Alger, 2010)

     

    Damian Berrio le morisque à Blida

     

    Dans Un parfum de vie, Adriana Lassel continue son exploration littéraire du passé tragique et prestigieux des andalous d’Espagne entamée avec  sa saga Luckas Le Morisque  Dans  un style sobre, à la croisée de l’Histoire et de l’imaginaire,  Un parfum de vie , moins dense, plus narratif que poétique, jumelle une passion d’amour et une passion d’Histoire qui, bien que n’ayant pas de relations, ont une même saison, celle du danger du terrorisme dans l’Algérie des années quatre vingt dix, à Blida.

     

    Le protagoniste, Sadek Benmeur, être complexe, entre dans le roman quelque peu désabusé par le cours de l’histoire de son pays et de sa vie personnelle. Une seule  flamme l’anime, comme l’auteur d’ailleurs : la recherche sur la littérature  aljamiado  ( de langue espagnole transcrite en caractère arabe), notamment les textes ( lettres, carnets de voyage, journal intime) introduits à Alger par les morisques chassés d’Espagne sous l’Inquisition.

    Enseignant dans un lycée à Blida, ancienne ville d’origine andalouse, Sadek Benameur en cette fin des années mille neuf cent soixante où Blida était un « parfum de vie » rencontre Hayat ( la vie, d’où le titre Un parfum de vie ?). Les rues de la ville des roses s’épanouissent de leur amour tout aussi clandestin que les manuscrits de la littérature aljamiado qui finissent par accaparer toute l’attention de Sadek au point où ce dernier disparaît de la vie de Hayat durant une vingtaine d’années. Quand il refait surface, fort de ses découvertes de lettres   du morisque Dahmane El Andaloussi, de son ancien nom Damian Berrio dans lesquels il raconte un épisode des migrations morisques à Alger et tous les malheurs subis par son peuple.  Avec ce personnage, ami de Lucas, avec qui il retourne en Espagne, l’auteur établit un lien évident avec son précédent roman Luckas le Morisque.

    Dahmane el Andaloussi reprend vie grâce aux  recherches du professeur Sadek et il devient, entre Hayat et Sadek, un autre des protagonistes de ce roman puisqu’il prend la parole dans ses lettres. Le 16ème siècle et le 20ème siècle se côtoient, entre Dahmane el Andaloussi, alias Damian Berrio et Sadek Benameur qui, de retour à Blida, garde encore le parfum de Hayat. Il se met à sa recherche avec autant d’ardeur qu’il le fait pour les manuscrits de la littérature aljamiado. Mais les temps ne sont plus avenants. L’université qu’il retrouve est tombé en déshérence et ses anciens collègues ne manifestent plus l’enthousiasme qu’il leur a connu. Sur la ville plane les vautours. Le danger terroriste a fait se déserter la ville qu’il a connue avec Hayat pimpante et animée. Dans la tête de Sadek qui, toujours sur les traces de l’histoire morisque dont il a découvert la relation avec celle des Kouloughlis, trotte Hayat. Le récit apprend au lecteur que celle-ci après un mariage avec un Égyptien dont elle a eu un enfant au pays des Pharaons, divorce et rentre au pays avec son fils. Elle retourne dans la maison maternelle à Médéa, une région meurtrie par le terrorisme. Au moment où Sadek retrouve ses traces et qu’il réussit enfin à la joindre au téléphone, les routes deviennent meurtrières et les villages sont soumis à des incursions terroristes. Sadek fait fi du danger. Il quitte précipitamment Blida et va la rejoindre. Au moment où il arrive, une incursion terroriste assaille le village. Hayat et sa famille fuient. Il la retrouve avec son fils, miraculeusement vivants, dans une orgie de sang.

    Quels liens établit l’auteur entre cette quête du passé morisque et cette histoire d’amour vecue en deux périodes, distantes d’un quart de sicèle l’une de l’autre. Même si l’auteur se défend de n’en établir aucun lien, le lecteur pourrait y voir une similitude à deux niveaux dans la fiction : d’abord, la passion et l’obstination qui anime Sadek Benameur pour retrouver les manuscrits de la littérature aljamiado et pour renouer avec Hayat. Puis, en filigrane du texte, dans le télescopage de la période des années mille six cent trente par la,présence épistolaire de Dahmane el Andaloussi et celle des années mille neuf cent quatre vingt dix, le lecteur pourrait lire dans les lettres du morisque la même  Inquisition  qui a ensanglanté le village de Hayat. Ce ne sont là que des interprétations que laisse nourrir le récit d’autant que la trame narrative conjugue et interfère la quête du passé morisque et la menace terroriste dont les effets meurtriers déferlent dans les dernières pages du roman. D’autant que, également, le récit observe un changement d’énonciation brutale. Le roman s’ouvre avec la troisième personne puis, c’est le « je », l’univers intime de Sadek Benameur et de Dahmane el Andaloussi qui prennent la parole, qui assume donc leur histoire respective, se ressemblent, se rassemblent. C’est là, sans doute, que le récent, à ce niveau esthétique, prend ses marques et ses reliefs.

    rachid mokhtari

     

     

     

     


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  • Polémiques

     

    Quand les romans malmènent l’Histoire

     

    Les derniers romans parus ces deux dernières années, de Anouar Benmalek, Yasmina Khadra, Boualem Sansal et de Rachid Boudjedra ont suscité de vives polémiques quant à leur traitement de faits historiques de la guerre de Libération. Le roman devient-il objet de suspicion au moment où les espaces réservés à la promotion du livre, les librairies, se rétrécissent  comme une peau de reinette ?

     

    Par rachid mokhtari

    Les récents romans d’écrivains algériens publiant dans l’Hexagone et réédités en Algérie ont suscité, cette année 2010 de vives polémiques au sein de la corporation journalistique et dans des milieux non littéraires sur le choix, le traitement, les insertions dans leur roman de faits historiques de la guerre de libération par son côté cour. En effet, l’assassinat de Abane Ramdane par les siens, la période de la bleuïte, le massacre de Melouza, le passé nazi d’ anciens maquisards, la recherche d’une réconciliation avec les anciens tortionnaires de l’OAS par le truchement de personnages qui surfent sur l’histoire d’une manière désinvolte ou naïve… ; tous ces faits entrés dans l’univers fictionnel ont pris dans la narration et le contexte historique des personnages une importance telle qu’ils semblent  devenir encore plus saillants, plus sujets à controverse. Car, hors de l’espace romanesque, ces mêmes réalités de l’histoire de la guerre de Libération, notamment l’affaire de la bleuïte et de Melouza, l’assassinat de Abane Ramdane qui, par ailleurs traités dans des témoignages et biographies circonstanciées n’ont pas suscité autant de polémiques et les auteurs de ces écrits n’ont pas été critiqués voire conspués par l’opinion publique. Dans son précieux témoignage Aux PC de la wilaya III, Salah Mekacher, ancien secrétaire particulier du colonel Amirouche raconte avec force détails son arrestation par les hommes du Colonel et les tortures subies sous la présence de ce dernier. Cet ouvrage publié aux éditions El Amel est à sa troisième réédition sans qu’aucune polémique ne soit venue en contredire les faits racontés. La biographie publiée il y a quelques années sur Abane Ramdane par Boualem Khalfa consacre tout un chapitre sur l’assassinat de l’artisan du Congrès de la Soumam dans les mêmes propos à, peu de mots près. Faut-il également ajouter les témoignages écrits et publiés  de Djoudi Attoumi, ancien officier de l’ALN sur le massacre de Melouza. Dans cette affaire, l’auteur ne dédouane pas la responsabilité au colonel Amirouche. Son dernier ouvrage Amirouche à la croisée des chemins est fort éloquent sur ce sujet brûlant.

    Pourquoi alors les romanciers qui ne sont pas historiens et qui rapportent des faits historiques avérés sont-ils plus exposés à l’indignation, la colère, la vindicte  de lecteurs ou de non-lecteurs plus  que ne le sont les auteurs de témoignages et biographies traitant des mêmes faits dont ils furent des témoins directs. La fiction serait-elle plus forte qu’un simple témoignage ? Les faits historiques habillés de fiction prennent-ils d’autres sens qu’ils ne le sont dans leur vérité historique ? Autant de questions qui mettent ces phénomènes d’interpénétration entre fiction romanesque et faits historiques sur la scène de l’actualité de la critique littéraire.

    Les romanciers dont il s’agit ne doivent pas leur succès aux polémiques qu’ils ont provoquées avec leur dernier roman respectif. Les figuiers de barbarie de Rachid Boudjedra, Le Rapt d’Anouar Benmalek, Ce que le jour doit à la nuit de Yasmina Khadra et Le village de l’Allemand ou le journal des frères Schiller de Boualem Sansal, puisque c’est de ces romans qu’il s’agit, ne sont pas mieux écrits que leurs précédents. Ils se distinguent des précédents par le fait qu’ils traitent d’événements liés à la guerre de Libération peu exploités dans l’espace fictionnel des romanciers algériens en tant que données historiques brutes. Certes, des romanciers de la postindépendance comme Nabile Farès dans Mémoire de l’absent, Mourad Bourboune dans Le Muezzin et Tahar Djaout dans l’ensemble de son œuvre romanesque se sont insurgés contre le déni d’histoire et ses falsifications, sans insérer des chroniques de guerre ou rapporté, comme l’ont fait ces romans de l’été 2010, même sous forme d’intertexte, des éléments de discours historique.

    En quoi alors consistent ces polémiques ? Que reproche-t-on à ces romanciers ? Quels en sont les instigateurs ? A quelles fins ?  D’autres romanciers et des acteurs du livre sont-ils impliqués dans ces polémiques, ces jacqueries verbales, allant jusqu’à la suspicion des auteurs de ces romans d’être des  anti-nationaux, à la solde de la France, écrivant sous la commande expresse de leur éditeur parisien ou encore leviers de « la main étrangère ».  Pourtant, ces romans ont été réédités en Algérie ou importés et ont attiré foule lors des ventes dédicaces de leur auteur respectif  ou propulsés best-seller par le fait même que le « bruit  court»  que tel roman est subversif.

    Invité par l’Etat algérien au dernier Salon international du livre ( FELIV, 2010), Anouar Benmalek a longuement réagi à la campagne médiatique menée contre son roman Le Rapt en Algérie même et dans certains pays arabes. Il a expliqué cette levée de bouclier par le fait que son roman déterre l’affaire Melouza pour « rendre hommage » a-t-il dit aux populations innocentes de ce village massacrées par l’ALN. Précisant qu’à titre de fils de chahid, il n’a de leçons à ne recevoir de personne. Il a regretté l’absence de journalistes d’investigation capables de mener des enquêtes approfondies sur ce genre de faits d’histoire. Il a également évoqué les polémiques ayant accueilli son précédent roman O Maria qui traite de l’Inquisition subie par les  andalous d’Espagne contraints à cacher leur religion (musulmane) ou à en faire peu de cas dans un contexte de terreur. Le personnage de Maria est ainsi pointé du doigt par de nombreux écrits critiques qui voient en elle l’accumulation de tous les vices jugés indignes d’une aussi jeune et belle morisque musulmane. Dans Le Rapt, l’affaire Melouza est intégrée dans un récit fleuve et rebondit à la suite du kidnapping de la fille du narrateur par un ravisseur qui s’avère être un survivant de Melouza qui revient sur le devant de la scène en tant que mémoire vivante et active. Le massacre de Melouza, dans ce roman-fleuve n’appartient donc pas à un passé révolu,  mais participe des crimes commis un demi-siècle après son avènement. A aucun moment du roman, Anouar Benmalek n’a de propos malencontreux ou sujets à controverse sur la guerre de Libération qu’il considère, en tant qu’Algérien et fils de chahid, comme un haut fait d’armes indéniable dans le contexte du mouvement des décolonisations. Mais, cela n’empêche pas, a-t-il dit, au cours de cette conférence au FELIV 2010 d’en relever les cloaques  et de « nous » interroger sur ses ratages. 

    Dans la même veine romanesque, Le village de l’Allemand ou le journal des frères Schiller,  Boualem Sansal  construit son personnage sur un cas avéré de combattants de la guerre de Libération qui furent enrôlés dans les troupes SS d’Hitler. Mais ont-ils participé à l’extermination des juifs dans les camps d’extermination au point où l’un des fils de cet ancien combattant de l’ALN au passé nazi va demander pardon aux victimes d’Auschwitz ? L’auteur prend vite le raccourci et alourdit son texte par de longs passages sur la déportation des juifs, la fabrication et le perfectionnement des variétés de gaz mortel. Le lecteur a l’impression que Boualem Sansal découvre Auschwitz. Il aurait pu sans doute faire l’économie de ces longs passages en italique qui n’apporte rien de nouveau de ce que connaît le lecteur sur la déportation et l’extermination des Juifs. Il ternit ainsi le passé glorieux de son personnage au cours de la guerre de Libération par une mise en exergue sans doute exagérée de ses années nazies. En plus du fait que ce personnage a été assassiné lors d’une incursion terroriste dans son village, à l’est du pays ; un fait qui déclenche ce processus mémoriel contrasté. Par ailleurs, l’auteur déplace de leur contexte historique des termes pour qualifier des situations qui sont loin de refléter ou de qualifier une scène de la vie quotidienne et ordinaire des Algériens dans les années quatre-vingt-dix : l’un des fils ayant appris l’assassinat de son père quitte la France où il vit pour honorer la mémoire paternelle dans ce village de Sétif. Il qualifie les douaniers de l’aéroport d’Alger de « gestapo ». Or, les critiques, acerbes, faites sur ce roman n’en ont touché ni le contenu ni l’esthétique ; elles ont même précédé sa disponibilité sur les étals des librairies. Virulentes ont été les réactions de la presse à l’endroit de la personne même de l’auteur allant à répercuter la vox populi par des mots comme « traître », « pro juifs », « à la solde des Juifs »…etc. Certains écrits se sont même interrogé  sur l’existence de ce village de Sétif cadre de la narration du roman comme si son existence qui s’avérerait fictionnelle allait attester et conforter la virulence des propos. Salué en Algérie par la critique dès la parution de son premier roman, invité par les autorités algériennes aux précédents SILA, le Boualem Sansal de Le Serment des barbares dont les thèmes traités peuvent aujourd’hui nourrir autant d’indignations dans l’opinion publique ici comme ailleurs, ne serait  plus celui  de Le village de l’Allemand certes moins bien écrits que son roman inaugural. Que dire également de ses précédents L’enfant fou de l’Arbre creux ou de Harragas dont les sujets abordés sont de loin plus audacieux ?  Le silence observé par l’auteur devant l’avalanche d’indignations est même interprété comme une attitude calculée et l’on se prend, dans les milieux mêmes des acteurs du livre et de ses promoteurs qui se disent champions de la liberté d’expression et de création, à suspecter des romans d’hérésie, comme, toute proportion gardée,  l’autodafé nazi.

    Mais, celui qui nourrit les polémiques, jette des pavés dans la mare par ses dons de narrateur et la forte cohérence de son univers romanesque, c’est indéniablement Rachid Boudjedra. Dans son dernier roman Les figuiers de barbarie, le passage relatif à l’assassinat de Abane Ramdane est jugé litigieux en soi ( Boualem Khalfa dit la même chose à quelques mots près dans sa biographie d’Abane Ramdane) et par sa proximité discursive avec les massacres de populations algériennes commis par les généraux de la conquête coloniale et l’assassinat de Larbi Ben M’hidi par Bigeard. Sur ce sujet, faut-il rappeler que le livre d’Aussaresses importé en Algérie s’est vendu comme des petits pains au chocolat et c’est une journaliste d’investigation du journal Le Monde, Florence Baugé qui a mené l’enquête en France et interviewé Aussaresses et autres acteurs de la torture en Algérie pour en révéler le côté barbare. Or, le traitement romanesque qu’en fait Boudjedra n’a pas pour objectif de soit disant révéler des vérités historiques à « scandale » mais de les intégrer dans les fantômes obsessionnels qui hantent ses personnages qui, de voyageurs d’un vol Alger-Constantine, deviennent des embarqués d’une Histoire mouvementés, complexes et subjective. Dans un tout autre style, proche du scénario cinématographique, le récit poignant de Yasmina Khadra Ce que le jour doit à la nuit, réédité en Algérie, sitôt sorti, sitôt vendu,  construit un personnage qui surfe sur l’Histoire sans avoir les moyens de choisir son camp. Jonas-Younès grandit dans un village de pied-noir ( les critiques n’ont pas jugé utile de justifier la réalité géographique comme il a été fait du village mis en scène par Boualem Sansal), y scelle des amitiés, des amours et la guerre passée, l’Indépendance acquise, le drame du terrorisme aidant, il revoit d’anciens OAS dont il ne partage pas pour autant les crimes. Il agit non pas comme un « pacifiste », terme que réfute Yasmina Khadra mais comme un être humain, avec sa sensibilité, ses contradictions, sa vie tout court et non comme une construction d’un nouveau mythe du anti-héros, rare dans l’histoire de la guerre de Libération. Certes, des interprétations idéologiques, des non-dits politiques peuvent être lus dans ce récit qui reste, malgré la véracité des faits et des situations, une œuvre de fiction qui doit être appréhendée comme telle et non comme un prétexte de déclarations nationalistes à l’encontre de cet auteur qui, alors signant de son propre nom, Mohamed Moulessehoul, a écrit et publié dans les années quatre vingt Le Privilège du Phoenix, El Kahra ( un témoignage romancé sur les condamnés à mort de Serkadji) et un recueil de nouvelles La fille du pont dénonçant les affres de la colonisation.

    Quelle que soit la notoriété de ces auteurs, ils ne sont pas indemnes de critique sur le fond de leur ouvrage et de leur construction esthétique. Mais jusqu’où peut aller la critique littéraire quand elle emboîte le ton et le propos à l’invective, l’insulte et le dénigrement. Certes, jusque-là, ces auteurs, par le fait qu’ils malmènent l’Histoire, ne sont pas des Soljenitsyne d’Août 14 ou de Le pavillon des cancéreux. En revanche, ils permettent, par l’insertion de faits historiques jusqu’à récemment tus ou consacrés tabous, à la mémoire collective de la guerre de Libération dont les acteurs, victimes ou bourreaux sont encore vivants, de se régénérer, de se greffer à l’actualité dans un espace où on l’attend le moins : le roman ( au sens noble du genre) qui, parce qu’il reste le lieu idoine de la liberté d’expression et de création, ne peut et ne doit être objet de suspicion. 


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  • RABIA ZIANI : MEMOIRES D’UN JARDINIER (ENTRETIEN)

    Par Rachid Mokhtari

     

    Rencontré chez lui à Crescia où il s’est installé depuis 1964 comme directeur d’école, Rabia Ziani, 77 ans, a toujours la verve d’un conteur, la bonté et l’autorité d’un pédagogue. Ses romans, écrits dans les printemps éphémères et les hivers rugueux de son jardin, portent l’empreinte d’un style foisonnant et d’une écriture-confession.

     

    Vous êtes né au village Aït Smail, une commune de l’actuelle   daïra de Draa el Mizan...C’est de là que vous êtes parti en France ?

    Rabia Ziani : J’ai quitté l’Algérie en 1950 à 15 ans et j’ai vécu 5 ans à Valenciennes dans le Nord de la France, sur la frontière franco-belge. C’était une découverte. C’était la première fois que je voyais une grande ville Alger, c’était la première fois que je voyais la mer, c’était la première fois que je prenais un bateau et seul.  C’était une grande aventure.

     

    Vous avez exercé plusieurs métiers ?

    Je suis arrivé le 20 juin 1950 à Valenciennes après un passage à Paris chez un de mes frères et là j’entre au collège technique mais mon frère aîné voulait que je me mette au travail trois mois après mon arrivée. Il m’a fait quitter  le collège et je me suis mis à travailler. J’ai appris le métier de cimentier, la peinture au pistolet en tant que  barbouilleur, celui de manœuvre, de garçon de café. J’ai exercé toute sorte de métier.  Ceci dit, j’ai fait un petit stage de formation accéléré à Valenciennes. Mais, c’était la grande misère. Quand je suis arrivé en 1948, le centre ville de Valenciennes était en ruine.  C’étaient les Algériens qui trimaient, ils étaient logés dans des caves à plusieurs. Quand on  se retrouvait le soir, on écoutait les disques de Slimane Azem, de Hasnaoui,  C’était vraiment pénible.

     

    Mais vous êtes parti instruit avec CEP ?

    Oui,  j’ai décroché mon certificat d’études  à l’école de Tala Bouali des Ait Smaïl avec pour maître d’école M. Cherfi. La dernière année de ma scolarité, je l’ai passée chez les Pères Blancs à Bounouh près d’El Merdja où j’ai obtenu mon certificat d’études primaires. Puis ce fut pour moi le grand voyage, l’aventure. Il faut vous dire que je n’ai jamais décroché des études. Il fut une époque où j’étais ce qu’on appelle une encyclopédie vivante. A Paris, on me surnommait « Maître ». Jusqu’à présent je peux vous dessiner la Seine, ses affluents et ses quartiers dans le moindre détail. On apprenait tout par cœur, c’était la pédagogie de l’époque.

     

    Pourquoi êtes-vous revenu en Algérie ?

    En 1954, j’ai été appelé à faire mon service militaire. J’ai été affecté de Valenciennes à Miliana, en Algérie. Nous étions deux indignes dans le peloton de Sous-officier, un certain Yacoubi et moi, instruits tous les deux. J’avais le niveau du brevet quand j’ai été appelé à faire mon service militaire.   A l ‘examen de Sergent, j’étais reçu  premier du bataillon. J’ai été affecté à la trésorerie où j’ai passé les plus beaux moments de ma vie. J’étais jeune, beau, j’avais un esprit très large, au point où on me surnommait l’Américain. J’avais la chance d’être dans les services administratifs alors que le gros de mon bataillon a été affecté dans les Aurès. A la fin de mon service, j’ai été désigné, avec deux autres coreligionnaires,  pour faire l’école des officiers de Saint Mixant. J’ignorais ce qui se passait dans le pays. La guerre de Libération était déclarée et j’étais Sergent dans l’armée française. Je me souviens encore d’un fait : in vieil adjudant, indigène,  est venu me voir, m’a pris en aparté  et me dit dans un bon français : « Sergent Ziani, je vous conseille de partir d’ici ». C’est là que j’ai pris conscience de ma situation. C’est ainsi que je me suis  retrouvé Moussebel en Kabylie, chez moi, à Ait Smail. L’un des responsables des maquis de la région m’a rencontré. Il répondait du nom de Chaâbane Yerghane (Chaâbane le brûlé)  qui m’a confié au commissaire politique de la localité. Mais, à cette époque, la Révolution n’était pas celle que l’on raconte aujourd’hui. Oui, il y a eu de l’héroïsme certes, mais aussi une pagaille ; des revanchards, des saletés, des ignorants. C’était l’année 1956. J’y suis resté une année. C’était d’ailleurs l’époque où je me suis marié. L’idée que je me faisais du maquis butait sur une réalité amère. Pourtant, je voulais jouer un rôle : que la révolution se fasse intelligemment, ne pas égorger pour rien. Je me souviens du jour de notre première mission qui consistait à couper un pont.  Nous étions partis, une vingtaine de jeunes, le soir,  avec des  haches, des pioches et le pont se trouvait à la sortie des Aït Smaïl, à découvert. Notre chef ignorait le danger, ce que je lui dis en lui reprochant son manque de stratégie, lui précisant que j’avais fait des études militaires. Ce que le fit réfléchir. Bref, je suis resté une année et c’était intenable, infernal.  Pourtant, dans le même temps, alors Moussebel, en costume cravate, je ne perdais pas de vue mes études. Je préparais le bac par correspondance, inscrit à l’Ecole universelle de Paris qui m’envoyait des cours.  Ce n’était guère facile, je passais des nuits entières avec l’algèbre, la géométrie dans un contexte de guerre. Un beau matin, je suis descendu au café maure où les villageois attendaient le facteur. Le facteur arrive et me remet une lettre de ma belle-sœur qui vivait à Valenciennes. Je lisais la lettre en retournant chez moi. A un moment donné, j’ai senti une présence derrière moi, c’était le fameux chef des Moussebels qui, soit dit en passant, a été liquidé par L’ALN comme traître. Il m’a tenu ces propos : « Rabia, tu sais, j’ai parlé à nos frères, je leur ai dit que tu étais instruit, seulement, voilà le courrier que tu reçois de Paris … » Alors là, j’ai vu rouge. Je suis rentré chez moi et j’ai dit à ma femme : « ça y est, je viens de recevoir une lettre de la grande poste, j’ai trouvé du travail. Demain matin, je pars. » Si j’étais resté 24h de plus, je ne sais pas ce que j’aurais fait. Le lendemain, j’ai pris le bus. C’était une autre aventure.      

     

    Vous quittez une seconde fois votre village sous la colère. Etait-ce pour un poste d’enseignant à Alger ?

    Non, J’arrivai à Alger et je m’étais fixé une semaine pour trouver du travail, sinon j’étais décidé de repartir en France. Le lendemain de mon arrivée, je me suis présenté au Palais du gouvernement, dans les services de la fonction publique. Je m’étais présenté en tant que Sergent pourvu du brevet élémentaire et ayant le niveau du bac. L’une des fonctionnaires s’était apitoyée sur mon sort et m’a dirigé vers un  service, celui  des Appelés.  De là, j’ai été dirigé chez un certain M. Merlet chef des services de la comptabilité qui me reçoit et me fait subir un questionnaire dans lequel je précisais que j’étais affecté à la trésorerie lors de mon service militaire... A la fin, il m’a proposé un poste dans une des nouvelles préfectures qui venaient d’être créées : Tizi Ouzou, Médéa, Orléanvilles...Mais réflexion faite, il me dit: « Et si je vous prenais ici, mais à l’essai ! » Je ne demandais pas mieux. Mais, mon rêve, c’était de continuer mes études pour être instituteur.

     

    C’était votre rêve ?

    Oui, j’avais beaucoup d’admiration pour mes anciens maîtres, des normaliens, c’étaient de vrais instituteurs et je rêvais d’être instituteur. Je quittais ainsi le Gouvernement général pour l’enseignement. J’avais fait mon  choix. Celui d’une petite vie tranquille. J’ai eu mon premier poste en 1960 au Clos Salembier, à l’école de la Cité Nador où j’avais fait la connaissance de Mouloud Feraoun. Monsieur Sebar était alors directeur de l’école.

     

    Comment aviez-vous fait connaissance avec Mouloud Feraoun ?

    Monsieur Sebar m’avait désigné comme responsable des centres de jeunesse où j’organisais des cours pour adultes. Un après-midi, je voyais quelqu’un venir vers moi, trapu, une petite moustache discrète, c’était en fait Mouloud Feraoun que je ne connaissais pas physiquement mais dont j’avais lu les romans. Il me dit ceci : « C’est vous Monsieur Ziani, j’ai appris que vous êtes directeur des centres de jeunesse et je voudrais  que mon fils qui est étudiant donne cours dans un de ces centres. » Ce que je fis. C’était un grand honneur pour moi d’avoir connu et côtoyé Mouloud Feraoun. Dans ma vie d’écrivain, je lui ai rendu plusieurs hommages. En 1963, nous voilà indépendants. Il y avait des stages, partout, en France. Avec mon ami, Rekis, nous étions, deux, à être les premiers instituteurs titulaires. Nous nous étions inscrits pour un stage de formation de cadres des finances à Paris. Vers la fin du stage, j’ai été appelé par l’Académie d’Alger. Rentré à Alger, j’avais un choix : être administrateur dans une banque  ou  réintégrer l’enseignement. J’ai reçu ma convocation pour un poste d’administrateur dans un établissement bancaire. Au moment où j’allais frapper à la porte du directeur général, je m’étais dit : « Monsieur Ziani, tu es un idéaliste, tu aimes l’enseignement, tu as eu la meilleure note professionnelle parmi la trentaine d’enseignants de l’Algérie indépendante, reprends tes esprits ». Je suis donc revenu à l’enseignement et j’ai demandé la direction de l’école de Crescia, dans le Sahel, actuellement faisant partie de la wilaya de Tipaza. C’était en 1964. J’y suis resté à ce jour.  

     

    D’où vient le nom de cette localité ?

    Elle s’appelait Crescia. Alphonse Daudet, le célèbre écrivain français,  a séjourné ici, dans une ferme à la sortie de Crescia ; il en parle   dans Tartarin de Tarascon. J’étais le seul instituteur titulaire de la région. 

     

    Durant toutes ces années, l’idée d’écrire vous – a – t- elle  effleuré l’esprit ?

    Vous savez, je n’ai rien à vous apprendre comment on devient écrivain, artiste…etc. Il faut qu’il y ait une cassure.  C’était en 1967, l’année de mes cauchemars, où je ne voyais plus rien. J’avais en revanche une consolation dans le travail : les cours, la formation des enseignants. C’était là ou j’avais quelque chose à dire. Je me suis mis à écrire. Et écrire, ce n’est pas aussi facile que cela. Mon premier manuscrit, des milliers de pages, je l’ai jeté au feu. Je n’étais pas sûr de moi. C’est là que j’ai fait connaissance d’un grand écrivain, Mouloud Mammeri que j’allais voir presque tous les jeudis lorsqu’il était directeur du CRAP (Centre de recherche anthropologique) ; un homme simple auquel je rends hommage. J’étais un de ses admirateurs comme lecteur. Quand il me recevait, il ne se mettait jamais derrière son bureau. Je lui ai soumis mon premier manuscrit Le déshérité. Après l’avoir lu, il m’a regardé droit dans les yeux et me dit : « IL y a trop de passion en vous, vous allez écrire beaucoup de livres » Je n’oublierai jamais ces paroles. Un jour, en discutant, il m’a suggéré d’écrire une nouvelle. Alors que je me trouvais dans le train Marseille-Paris, la proposition de Mouloud Mammeri trottait dans ma tête. J’ai pris mon stylo et ai écrit ma première nouvelle L’heure du choix  publiée et illustrée par le peintre Haroun dans un numéro spécial de Révolution africaine consacré au Premier Novembre. Puis, me voilà engagé, nouvelle sur nouvelle

     

    Dans son Dictionnaire des écrivains maghrébins (….) Jean Déjeux écrit à propos de votre

    roman Le déshérité : «   C’est un roman autobiographique, qui a été écrit avec beaucoup de passion et l’auteur dit « avec beaucoup de souffrances. » Il était parti pour écrire un roman-fleuve de 600 pages en 1970-71, seule la première partie a été reprise... »

    Exactement. J’étais tel un volcan. J’ai écrit plus de 600 pages. J’ai condensé et j’en ai fait un roman de 300 pages.

     

    Dans ce roman Le déshérité, le personnage principal, Raïs, est un ancien maquisard ambitieux…

    Raïs, c’est moi. L’indépendance venue, il a été exproprié de son petit morceau de terre, Tamazirt, qu’il cultivait avec amour. Un jour, aux aurores, il invoque Dieu dans sa prière. Et c’est l’aventure. Par son abnégation, son sérieux dans le travail, il réussit dans la vie, dans l’enseignement comme moi. De ce point de vue autobiographique, j’aurais fait un très bon metteur en scène. On ne peut pas être écrivain si on n’a pas vécu, si on n’a rien senti. On ne fait que rendre. Devant une page blanche, est impuissant  celui qui n’a pas senti, qui n’a pas pleuré, ainsi que le dit un vers de Musset  « L’homme est un apprenti, la douleur est son maître, nul ne se connaît tant qu’il n’a pas souffert »

     

    Les titres de vos premiers romans Le déshérité, Et mourir à Ighil, L’impossible retour expriment cette souffrance, la dépossession puis, il y a eu comme une sorte de décompression avec Ma montagne, Nouvelles de mon jardin et Le secret de Marie 

     

    Après Le déshérité, il y a eu en moi une sorte de dépression. En 1964, comme je vous l’ai dit, j’ai obtenu la direction de l’école de Crescia  Un jour, je suis venu visiter le bourg avec mon épouse et je découvre le village, calme, entouré de verdure. Il y avait cette maison vacante avec un grand jardin de 1000m2, je l’ai occupée et me voilà devenu jardinier. J’ai retrouvé ma sérénité. Mes journées étaient pleines entre la pédagogie, mon jardin et mes enfants. Je suis père de sept enfants dont quatre docteurs, professeurs de médecine, deux ingénieurs et un professeur de physique. Ils ne sont pas arrivés si facilement à ce niveau. Un enseignant qui ne réussit à former ses propres enfants comment voulez-vous qu’ils forment d’autres enfants ? Il faut être exemplaire. Beaucoup de mes élèves, aujourd’hui retraités, n’osent toujours pas fumer devant moi. J’ai lu de milliers de livres de pédagogie et j’en lis toujours. Le respect se mérite. Il y a deux mérites en pédagogie : la bonté et la fermeté. Retenez cela.  Mais je dois avec Henri Troyat dont je fais mienne la citation : « Il nous reste peu de choses des passions qui nous ont agité autrefois »

     

    Que devient l’autre partie du manuscrit Le Déshérité ?

    Elle est toujours là, dans mes tiroirs avec des traces de brûlures. Musset dit fort à propos : « Il y a dix pour cent d’inspiration et tout le reste est travail »

     

    D’ailleurs, votre personnage Rachid Mohand Ouali qui écrit à Belaïd dans votre roman Ma montagne, dit dans une de ses lettres : « Je savoure la volupté d’écrire, la lutte patiente contre  la phrase qui se raidit puis s’assoupit, l’attente immobile,  l’affut d’un mot… » C’est bien vous, non ?

    Oui, parfois, en me relisant, je me demande si c’est bien moi qui ai écrit…       

     

    Vous avez eu des  correspondances avec d’autres écrivains ?

    Oui, des lettres échangées avec Emmanuel Roblès auprès duquel Mouloud Mammeri m’a recommandé. Des correspondances aussi avec Jules Roy et Patrick Poivre d’Arvor.

     

    Revenons à votre roman Ma montagne ? Pourquoi le choix épistolaire ?

    Ce sont des souvenirs d’enfance. Mon héros quitte la région de Beni Allel suite aux Nouvelles de mon jardin et qui se retrouve en pleine montagne cultivant un jardin.

     

    Rachid Mohand Ouali en même temps qu’il fait des réflexions sur la langue, dit « Je suis de ceux qui préfèrent les écrivains qui, dans un style clair me font retrouver le monde où je vis, qui peignent ce qui m’entoure »…

    Oui, j’ai beaucoup d’admiration pour la société kabyle qui même dans la misère, observe la solidarité, le bon sens, l’organisation, le nif et tout le reste. C’est beau. Mon héros, Rachid Mohand Ouali, vivant à Beni Allel, c’est à dire Crescia, parle de l’imam, du garde champêtre, des fonctionnaires, du comportement de la société dans Nouvelles de mon jardin dont Ma montagne constitue la suite. Pour ne pas ennuyer le lecteur, j’introduis l’humour.

     

    Les thèmes développés dans Ma montagne n’ont-ils pas une étroite relation avec le contexte socioéconomique de ces années 80. Votre personnage Rachid quitte Beni Allel défiguré par l’installation d’une usine, une route qui coupe en deux son jardin… ?

    Effectivement, c’est le cas de tout le monde aujourd’hui. J’ai en quelque sorte anticipé sur ces problèmes. C’est ce que les gens me disent.

     

    Le secret de Marie est votre dernier roman. C’est le plus proche de la réalité politique de l’Algérie des années 1990…

    Le secret de Marie est mon dernier roman paru à Paris, chez L’Harmattan. Il m’a fait souffrir. Je l’ai écrit à une période où les terroristes se pavanaient à Crescia où la solidarité n’existait plus. Un jour, j’ai pris mon cartable et je suis parti à Alger où je me suis présenté à l’ambassade de France. Il me fallait faire vite. Au guichetier, je me suis présenté comme écrivain qui voulait dédicacer un de ses romans – j’avais pris Nouvelles de mon jardin -  à  l’attaché culturel de l’ambassade.  Dans la salle d’attente, nous étions quatre parmi lesquels des chirurgiens, professeurs d’université. J’étais assis, feuilletant mon livre et je brisai le silence en disant : « Et dire que je suis un homme heureux dans mon pays ». Ils m’ont tous regardé. Je me suis présenté à eux et tous m’ont donné leur carte de visite. J’ai été reçu par l’attaché culturel auquel j’ai dédicacé Nouvelles de mon jardin. Quelques jours plus tard, je reçus mon visa de type A (prioritaire). Je suis donc parti à Paris. J’ai échappé à une mort certaine à Crescia. J’avais pris Le secret de Marie à l’état de manuscrit. Arrivé chez mon fils, ingénieur en informatique, place Voltaire, je me suis remis à son écriture. J’ai déposé la version finale aux éditions L’Harmattan qui l’ont publié. Mais je n’ai pas voulu rester en France. J’aime ma liberté. Je suis donc revenu à Crescia. J’ai soumis le même manuscrit à Casbah Editions qui n’ont pas donné suite. Je ne sais pas ce qui s’est passé. Pourtant,    Mouloud Achour que j’ai connu à El Moudjahid l’a lu et m’a même dit : « Enfin, voilà un bon roman ». N’étant pas un écrivain de 68, je n’ai pas voulu faire des courbettes. Je suis très à l’aise dans ma vie. Ma gloire est faite.

     

     

    Pour rester dans votre production romanesque, dans les années 80, vous publiez pratiquement chaque année un roman…

    Effectivement. Il y en a d’autres qui sont à l’état d’ébauche et que j’ai laissés tomber par la suite. J’écrivais jour et nuit. Mais, au-delà d’un certain âge, la mémoire fait défaut. Je vous avais dit que j’étais comme une encyclopédie vivante. J’ai touché à tout. J’ai abordé pas mal de sujets. Je me suis lancé dans une autre aventure avec une collection en direction des jeunes Sciences et Savoir avec une série de portraits que j’ai intitulée Nos héros, une sorte d’encyclopédie de la jeunesse aux éditions Dahleb. Ce n’est pas aussi facile que cela quand on écrit à l’enfant. Il ne faut pas être un savant mais pédagogue. J’ai lu des centaines de livres d’enfants. La simplicité est la chose la plus difficile à atteindre dans un travail d’écriture en direction de l’enfant. Quand vous lisez Victor Hugo, Anatole France, François Mauriac, vous en restez ébahi.

     

     

    Vous avez publié dans les maisons d’édition de l’époque aujourd’hui dissoutes...

    Oui, d’abord il n’y avait que la Sned, transformée en Enal, puis l’Enap 

     

    Comment étaient reçus vos romans ?

    Sans me vanter, Le déshérité s’est vendu dans l’année ; L’impossible bonheur a été tiré à cinq mille exemplaires. Il a été épuisé dans l’année également. Les autres ont été tirés à 3000 exemplaires.

    Vous avez également un ouvrage qui va paraître au SILA 2010

    J’ai signé le bon à tirer et il sera présenté au SILA 2010. C’est un essai intitulé De la littérature universelle. Des écrivains universels, comme Léon Tolstoï, Voltaire, Rousseau  et beaucoup de nos écrivains algériens :  Mouloud Mammeri, Mohamed Dib, Malek Haddad, Assia Djebbar, Tahar Djaout que j’ai connus.

     

     Comment vous situez-vous par rapport à la génération des écrivains de ces années 80, entre autres Chabane Ouahioune, …

    Mon ami Chabane et comment ! On se rencontrait tous les deux souvent à Alger et nous écrivions à cette époque au journal L’Horizon.

     

    Vous avez des parentés thématiques avec cet écrivain. Nous pouvons rapprocher votre roman Ma montagne à Tiferzizouith ou le parfum de la mélisse de Chabane Ouahioune. Vous développez tous les deux une dimension écologique du roman.

    C’est un écrivain érudit. Il était avocat. Il y avait certainement quelque chose qui le poussait à l’écriture.

     

    Un autre écrivain décédé qui est de votre région, Mohamed Hadadi qui a écrit un seul roman Le combat des veuves

    C’est mon cousin maternel. Je lui rends d’ailleurs ne serait-ce qu’un hommage dans mon essai qui va paraître De la littérature universelle aux éditions Dahleb. Je l’aimais bien. Il était d’ailleurs instituteur à El Merdja. J’étais encore enfant à l’école quand il écrivait. C’était un mordu de la littérature, surtout de poésie. Il a brûlé son premier manuscrit alors qu’il était enseignant à Boufarik. Il a vécu beaucoup de mésaventures et il n’a pas réussi en littérature. Il a écrit ce roman Le combat des veuves. A un moment donné, il dirigeait la Revue du Djurdjura

     

    Aucun de vos romans n’a été réédité. Pourquoi ?

    Je n’ai pas cherché car, je pourrais le dire franchement, je suis un homme comblé. J’ai réussi l’éducation de mes enfants. Je ne suis pas dans le besoin. 

     

    Au-delà du besoin, vous n’êtes pas intéressé par la réédition ?

    Je n’ai pas demandé, je n’ai pas cherché. Avec l’âge, cela devient pénible. Je vous ai déjà raconté ce qui s’est passé avec les éditions Casbah par l’intermédiaire de Mouloud Achour à propos de la réédition de Le secret de Marie que j’ai écrit avec mes tripes. Il traite d’un sujet délicat. Mon héroïne est une jeune fille orpheline recueillie par les Sœurs Blanches et qui est devenu chrétienne. J’y défends la tolérance des religions.  Je me suis beaucoup documenté pour écrire ce roman. J’ai fait connaissance de Mgr Tessier. Je me suis un peu inspiré du roman Le rouge et le noir de Stendal. En écrivant les dernières pages, j’ai versé des litres de larmes. Je n’écris que quand je suis inspiré, jamais sur commande

     

    D’ailleurs, dans Ma montagne, Rachid Mohand Ouali nous apprend que Bélaid, dans une de ses lettres lui demande d’écrire une nouvelle sur sa nouvelle vie de montagnard. Ce que Rachid refuse…

    Oui, combien de journalistes m’ont demandé d’écrire des nouvelles. Non, je ne peux pas écrire sur commande.

     

    Parmi vos romans, quel est celui qui vous a donné le plus de difficultés ?

    C’est Le déshérité qui m’a fait souffrir. Huit ans d’écriture. Le manuscrit a été sauvé des flammes par ma fille. Mais il m’a permis de connaître Mouloud Mammeri et d’être en quelque sorte journaliste. «  Ce livre est l’œuvre de huit ans de veille » J’ai rendu hommage à l’abnégation de mon épouse et à mon dactylographe qui m’a suivi ligne par ligne. C’était un travail monumental. Des tonnes de papier. C’était la machine à écrire  et quand il y a une  erreur, vous imaginez ce que c’est. Mais j’avais quelque chose à dire qui brûlait mes entrailles.

     

    Ma montagne aurait pu s’intituler Mémoires d’un jardinier, non ?

    Oui, il y a également de la philosophie. Mémoires de mon jardin est encore plus riche en événements et en style.  J’y décris mes expériences de jardinier. Quand je suis arrivé ici à Crescia, je ne savais rien du monde agricole. J’ai appris beaucoup de chose en cultivant mon jardin. A 7h du matin, je suis au jardin, J’avais des salades de toutes les variétés, toute sorte de haricots, des légumes frais. A 8h, je mets mon costume cravate et je vais à mon travail d’enseignant. C’était pour moi une joie. J’ai connu le vrai bonheur. Des jours avec un soleil radieux, toute une vie qui foisonne dans mon jardin. Le plaisir de cueillir un fruit.

     

    Le jardin est le lieu fertile omniprésent dans vos romans

    Oui, je travaille la terre, je me fatigue et puis me vient l’inspiration. Comme Slimane Azem qui écrit ses chansons en greffant ses arbres fruitiers dans sa ferme à Moissac.

     

    Quel est le lieu qui vous a le plus inspiré ?

    Quand je ferme les yeux, je vois le Djurdjura, comme un sphinx. La première image que je revois à mon âge, c’est mon village, mon école, même du jour de mon entrée à l’école.

     

    Vous aviez écrit d’ailleurs une nouvelle L’école d’autrefois

    Oui, je revois mon ancien maître comme si cela datait d’hier. Dans l’essai qui va paraître, j’ai écrit un texte autobiographique que j’ai intitulé Misère et grandeur de l’écrivain suivi d’un autre chapitre : L’art d’écrire.

     

    Beaucoup d’extraits de nos romans figurent dans les manuels scolaires. C’est une belle récompense et une osmose entre l’enseignant et l’écrivain que vous êtes

    L’IPN (Institut pédagogique national) a choisi beaucoup d’extraits de mes romans, notamment de Ma montagne. En classe de 7eme année du fondamental, on trouve le texte Les cerises de Rachid extrait de Nouvelles de mon jardin. Dans les épreuves du brevet, en 1973, l’épreuve de français était Le Ramadan d’autrefois, extrait de Ma montagne et le texte Timechret en 9eme année fondamental tiré également de Ma montagne qui a été choisi par M. Amhis, alors inspecteur général de l’Education.     

     

     

     

     

     

      

     


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