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    Tahar Djaout, un écrivain pérenne

     

    Des oiseaux sur les lignes

     

    Les romans de Djaout ne tirent pas leur intérêt du point final que des terroristes ont apporté à sa biographie, mais bien du contenu et du caractère de sa bibliographie.

     

    Il faut saluer, en premier lieu, l’effort de ce critique littéraire, également écrivain, qui consacre son temps à la promotion et à l’analyse de la littérature algérienne actuelle ou récente. On doit notamment à Rachid Mokhtari deux ouvrages en la matière sur ses neuf publications, tous genres confondus. Il a ainsi écrit La graphie de l’horreur (Chihab, 2003) dans lequel il s’était attaché à présenter et étudier la littérature dite de l’urgence qui était née de la tragédie des années quatre-vingt-dix. On lui doit également Le renouveau du roman algérien  (Chihab, 2006) consacré aux nouvelles écritures. C’est dire que son intérêt pour cet objet d’étude se nourrit de constance et d’attention et l’on sent, dans ce dernier essai, l’apport de ses travaux précédents qui lui permettent de situer une œuvre dans un contexte littéraire plus global. En second lieu, bravo aux éditions Chihab de publier de tels ouvrages qui ne risquent pas de devenir des best-sellers, mais sont précieux à la littérature.

    La relecture de l’œuvre de Tahar Djaout s’est appuyée sur son corpus complet, à savoir : L’Exproprié (Sned, 1981) ; Les Rets de l’oiseleur (Enal, 1984) ; Les Chercheurs d’os (Seuil, 1984) ; L’Invention du désert (Seuil, 1987) ; Les Vigiles (Seuil, 1991) et enfin, le roman posthume Le Dernier été de la raison (Seuil, 1999). Rachid Mokhtari a aussi construit sa contribution en revisitant les travaux universitaires consacrés aux thématiques et/ou esthétiques de Tahar Djaout. Sur ces deux bases, il a élaboré sa propre synthèse et vision d’une œuvre occupant une place particulière dans notre littérature, non pas seulement par la personnalité et le sort de son auteur, mais aussi et surtout par son contenu, le style d’écriture et donc la valeur littéraire. Autrement dit, Mokhtari vient apporter, ici, la preuve que les romans de Tahar Djaout ne tirent pas leur intérêt du point final que des terroristes ont apporté à sa biographie, mais bien du contenu et du caractère de sa bibliographie. D’où d’ailleurs le titre de l’essai sur la pérennité de cet auteur.

    Jusqu’à présent, l’œuvre de Tahar Djaout a été généralement abordée titre par titre. L’intérêt du présent essai est de mettre en relation l’ensemble des romans. Ce faisant, Rachid Mokhtari établit de nombreuses passerelles entre tous les ouvrages, mettant en lumière les aspects permanents et relevant parfois les aspects secondaires ou ponctuels. Il met également en relation l’univers et l’écriture de Djaout avec d’autres écrivains algériens, et notamment Nabil Farès à qui a été confiée d’ailleurs la préface de l’essai.


    L’ouvrage est structuré en trois chapitres. Le premier, qui occupe plus de la moitié de l’essai, recense les «ordres» ou, l’on pourrait dire, les pouvoirs présents dans l’univers global de Djaout.

    Ces ordres sont bien sûr ceux produits par Rachid Mokhtari à partir de sa relecture. Mais son travail minutieux d’analyse, l’utilisation de tableaux récapitulatifs de mots et d’expressions, le recours aux contextes d’écriture, la référence aux écritures non romanesques de Djaout, tout cela donc donne à ses arguments une consistance convaincante. Le premier ordre, dans Les Chercheurs d’os notamment, est celui des «champs d’honneur» qui voit l’apparition de l’exploitation personnelle par des vivants de la gloire des martyrs. Le second est celui des «veilleurs nationaux», soit celui de l’accaparement du pouvoir à partir d’un discours populiste. Le troisième est celui des «temps d’Ibn Toumert» où émergent rigorisme moral, conformisme et prêt-à-penser.

    Le quatrième ordre enfin est celui des «prédicateurs de la foi» où dominent les Frères vigilants, où l’art et la littérature sont bafoués, voire interdits, où se met en place le contrôle des vies jusque dans l’intimité. Cet ordre est présent dans l’ensemble de l’œuvre avec des ampleurs et des densités différentes et culmine avec Le Dernier été de la raison. Ce n’est pas, affirme Rachid Mokhtari, «une simple chronique journalistique sur les premières manifestations du FIS» mais bel et bien «une œuvre de fiction ancrée dans la réalité (…) de l’Algérie au début de la décennie noire ou rouge, autant que l’est Les Vigiles». Allant d’un roman à l’autre, l’auteur nous montre finalement la parfaite cohérence thématique de l’œuvre de Tahar Djaout.

    Il aborde ensuite ce qu’il nomme la «rébellion esthétique», soulignant dans le premier roman de Djaout, L’Exproprié, l’importance de la verve poétique de l’écrivain et le refus de la chronologie, même si la trame narrative est claire. Pour Mokhtari, la construction formelle des romans de Djaout a suivi un parcours d’allègement et d’apurement : «Cet univers romanesque semble partir de l’écriture la plus complexe (L’Exproprié) à une écriture la plus dépouillée (Les Vigiles), voire à la plus imminente de l’événement (Le Dernier été de la raison)». Plusieurs parallèles sont établis avec Nabil Farès notamment, mais aussi Habib Tengour et Malek Alloula et prennent plus de sens encore avec le troisième chapitre de l’essai, relatif aux «désordres de l’enfance». Avoir placé en fin d’ouvrage ce chapitre, au mépris de la chronologie, ne semble pas être une lubie ou une erreur du critique. Rachid Mokhtari a voulu, par là, signifier combien cette enfance fut pour Djaout, non seulement un noyau de sa personnalité (comme pour tout le monde) mais un moteur et un référentiel de son œuvre littéraire.

    Il met efficacement en relief cette ivresse des espaces libres, cette conscience sensible de la nature, et surtout les oiseaux qui volent d’un roman à l’autre, incarnant la liberté aimable et généreuse dont Tahar Djaout était habité.

         
    Ameziane Farhani, El Watan

     


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  • CULTURE

    L’EXPRESSION
    TAHAR DJAOUT UN ÉCRIVAIN PÉRENNE, ESSAI DE RACHID MOKHTARI
    Cinq romans sous la loupe
    08 Janvier 2011 - Page : 21
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    Ecrivain, mais aussi poète et journaliste algérien d’expression française, Tahar Djaout pensait à une Algérie résolument moderne sans se départir de l’héritage de ses aïeuls.

    Son écriture, sa pensée sont plus que d’actualité. Ses romans avant-gardistes et visionnaires lui ont valu d’être assassiné en 1993 faisant de lui l’un des premiers intellectuels victimes de la tragédie nationale en Algérie. Une tragédie qui n’en finit pas de disperser ses séquelles et d’en récolter les méfaits. Ecrivain, mais aussi poète et journaliste algérien d’expression française, Tahar Djaout pensait à une Algérie résolument moderne sans se départir de l’héritage de ses aïeuls. Penser son oeuvre c’est remettre au goût du jour ses idées, son combat, sa témérité.


    Tahar Djaout, un écrivain pérenne est un essai signé Rachid Mokhtari qui propose une relecture pertinente de l’oeuvre romanesque de Tahar Djaout composée de ses cinq romans écrits après ses recueils de poésie, à savoir L’exproprié (Sned 1981), Les chercheurs d’os (Seuil,1984), L’invention du désert (Seuil, 1987), Les rets de l’oiseleur (Enal, 1984), Les Vigiles (Seuil,1991) et enfin son roman publié à titre posthume Le dernier été de la raison (Seuil, 1999).

    Cette lecture se veut un espace de synthèse de travaux universitaires sur les différents aspects thématiques et esthétiques des romans de Tahar Djaout. Elle répond également au souci pédagogique et didactique d’une approche globale qui s’intéresse à la totalité de l’oeuvre romanesque de Tahar Djaout et non à l’un ou l’autre de ses romans, comme cela a été fait précédemment.
    Cette démarche synchronique n’occulte pas en revanche, une analyse interne d’un roman l’autre. Ces deux mouvements constituent la démarche de cet essai.


    Un précieux objet universitaire à saisir par les étudiants et qui sait, peut être que cela leur donnera l’envie de lire Djaout, même si pour bien pénétrer cet ouvrage, il aura fallu lire toute l’oeuvre de Djaout et non des bribes. Car Tahar Djaout, un écrivain pérenne s’attache à l’analyse du texte de Djaout en décortiquant le sens de ses phrases par extraits multiples finement abordés.

    Dans la préface de Tahar Djaout, un écrivain pérenne, signé Nabil Farès, ce dernier affirme que «donner à lire Tahar Djaout comme le fait dans ce livre Rachid Mokhtari peut paraître comme une sauvegarde fragile, indispensable contre les nuits de la terreur, de la création, de l’humain, de l’esprit.»
    Dans l’avant-propos, note-t-on «Les romans de Tahar Djaout forment un univers romanesque cohérent dans sa structure thématique avec ses invariations ou ses récurrences, l’histoire collectivité et l’histoire individuelle libérée, le territoire de l’enfance et l’omniprésence des oiseaux qui symbolisent le mouvement si cher à l’auteur».

    A propos de son écriture novatrice et détentrice d’un savoir inhérent à la narration d’un récit qui se veut âpre dénonciateur au coeur de l’actualité d’un pays, au-delà du reportage, il est écrit à la page 21: «Dans l’oeuvre romanesque de Tahar Djaout, cette mémoire n’est pas un espace-temps sécurisant, un héritage sédimenté et rassurant. Son écriture en est une complète déroute, une perpétuelle interrogation sur la création d’un nouveau langage littéraire qui brouille les pistes, efface les traces et déboussole les repères d’un ordre familier pour défricher de nouveaux territoires de sens.»

    A propos de ces trois romans (Les chercheurs d’os, Les vigiles et L’invention du désert Ndlr), Rachid Mokhtari explique à la page 139 que l’auteur «Tahar Djaout, par son écriture impliquée, décrit la réalité de la société par une hétérogénéité de discours (religieux, politique, social).

    Il s’emploie, par la technique du télescopage, à relever, par la subversion du signe et l’ironie, les dysfonctionnements de la société algérienne en fouillant le passé le plus lointain et l’histoire contemporaine».

    Et de poursuivre à la page 140: «Ces romans mêlent la chronique des faits historiques et politiques et l’imaginaire, le subjectif du monde intérieur du narrateur.»
    Tahar Djaout ne fait pas usage de commentaires, souligne Rachid Mokhtari car dit-il «la description d’une vérité est plus forte que tous les commentaires que l’on peut en faire».

    En somme, Tahar Djaout, un écrivain pérenne, sorti aux éditions Chihab, essai de 244 pages, mérite qu’on s’y attarde si l’ont veut bien sonder le mécanisme d’écriture de Tahar Djaout et comprendre son discours littéraire, engagé et militant. Son prix: 450 DA.

    O. HIND


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