• Algérie News Entretien

    A propos du  roman l’Amante (Ed. Chihab 2009)

    Dans quelle mesure l’écriture intimiste constitue pour vous en tant qu’écrivain une sorte de délivrance ?

    Il n’y a pas d’objectivité dans la création romanesque. Le romancier est un producteur d’émotion et, comme tel, son monde appartient à la sphère de l’imaginaire et il évolue dans l’intime des gens, de ses lecteurs. J’entends par ce mot « intime » non pas « la vie privée » mais tout ce qui relève de l’émotionnel, voire du « ça » des êtres, leur subjectivité. Ce côté « intime de toute entreprise romanesque qui la subjectivité des personnages s’exprime dans le poétique, dans les ressources insoupçonnées de la prose poétique en ce qu’elle regorge de magie verbale, de prosodie et de beauté esthétique. Cet aspect de l’intime est également une rythmique syntaxique, une musicalité phraséologique. Mais ce n’est pas pour autant que c’est une écriture introvertie, fermée sur le monde et ses soubresauts, ses calamités, ses misères, ses guerres, ses injustices. L’intime permet de les dire dans une vision humaine, humaniste. Mais cette sensation de l’intime n’a pas le pouvoir de la délivrance. Le roman n’est pas une thérapie, un remède. Au contraire, il creuse le doute, amplifie les interrogations, accentue les révoltes et ne se prête pas aux endoctrinements quels qu’ils soient. Le roman est liberté, insurrection du mot. En ce sens, la création romanesque relève de l’intime car l’intime, comme l’imaginaire, ne peuvent être domptés, polis, amadoués ou corrompus.

    Ecrivain et intellectuel algérien que vous êtes, quel  rapport entretenez-vous  avec la dimension historique des événements d’il y a  plusieurs années racontés d’ailleurs dans votre dernier roman?

    Dans l’Amante, deux guerres se succèdent. L’une finit au moment où commence l’autre. L’armée française défaite à Dien Bien Phu, au Vietnam, est pourtant toujours puissance coloniale en Algérie. Au moment de sa débâcle, l’insurrection algérienne éclate avec ceux qui ont servi cette même armée contre Hitler mais aussi contre la résistance vietnamienne. C’est apparemment illogique, absurde. Mais les entreprises coloniales mènent au chaos, à des situations surréalistes. Kaputt, le célèbre roman de l’écrivain italien Curzio Malaparte, tout entier consacré à la deuxième guerre mondiale, montre éloquemment, le côté fantoche mais aussi festif de cette tragédie mondiale. Mon personnage, Omar, Sergent chef de l’armée française se retrouve dans les maquis d’Imaqar  comme s’il avait changé de camp à Dien Bien Phu où il aurait été avec les viets des rizières. Mais, ce n’est pas un politique ni même un guerrier. C’est un jeune homme qui tente de s’en libérer pour vivre un amour tissé par Zaïna, son amante. Cette dimension subjective semble en opposition avec le contexte historique, ses codes, ses normes. Ce personnage n’est pas un héros, n’a pas de vision héroïsante, utilitaire de ses années de combat. La relation qu’il entretient avec les maquisards, le maquis, échappe au discours idéologiques, au formatage du « héros » tel que les postindépendances le donne à lire : les maquisards ne sont pas des gens qui vivent, avec leur faiblesse, leur courage parfois, leur rêve, leur amour, leur traîtrise. Je déconstruis, ainsi, le mythe du héros qui fait apparaître la guerre de libération et toutes les guerres de libération comme l’œuvre d’ « extra-terrestres », insensibles, immortels et sans âme. Au contraire, en recouvrant sa dimension humaine, son intime, elle n’en devient que plus signifiante tant il est vrai que ce sont des hommes et des femmes comme vous et moi qui l’ont faite. L’Histoire se libère dans le roman et ses événements ne servent à aucune justification idéologique ou gloriole. Elle est l’espace tragique d’une aventure humaine, celle de Omar pour lequel Zaïna a promis le tissage d’un burnous avant l’arrivée de son retour printanier. Dans les guerres, il y a toujours des Zaïna qui leur donnent, non pas du sens ( sémantique) mais éveillent les sens de ceux qui vivent la mort au quotidien. Mais, l’Histoire ne les reconnaît pas. Mieux, elle les injurie. Se peut-il qu’un maquisard puisse avoir une amante ? L’Algérie est-elle une amante ?  Est-ce la raison pour laquelle c’est Omar qui meurt foudroyé d’une rafale de mitraillette au moment où Zaïna retire de la trame du métier à tisser le burnous. Vidées de leur dimension humaine, de leur « intime », les guerres de Libération ne sont plus nourricières de libertés, d’amours mais sont – elles le sont devenues – des totems, génératrices d’interdits, de menaces et de peurs.

     

    Vous dites que le travail de mémoire n’est pas encore à l’ordre du jour  du moment où en Algérie nous sommes un continuum  de générations de guerre. L’Amante riche en indices spatio-historiques, n’est – il pas une tentative d’écrire l’Histoire et l’histoire, donc une écriture de mémoire ?

    Nous sommes toujours dans un continuum de tragédies. C’est pourquoi la terminologie fallacieuse de « devoir de mémoire » est dangereuse. Les Algériens comptent aujourd’hui, toutes générations confondues, dans une même famille, des vétérans de la Seconde guerre mondiale, des maquisards de 54, des insurgés de 1980, de 1988, de 2001, des bourreaux et des victimes du terrorisme islamiste. Parmi les jeunes algériens nés et ayant grandi dans la sauvagerie terroriste et qui ont aujourd’hui vingt ans, écriront à leur manière l’histoire des massacres terroristes qui n’est pas encore faite de l’intérieur, c’est à dire de ses lieux intimes. Le « devoir de mémoire » suppose que les bourreaux sont châtiés, traqués comme ces anciens SS de part le monde. Il paraît loin notre « procès de Nuremberg ».

    Le point de vue anthropologique dans votre roman L’Amante  est très présent : des personnages mythiques, le tissage, le burnous...pouvez-vous nous élucider la portée d’un tel point de vue dans votre texte ?

    Vous faites bien de relever la dimension anthropologique du roman. Les événements de l’histoire, racontés dans leur immanence, n’ont pas d’intérêt. Ou alors, ils deviennent des témoignages bruts qui perdent leur actualité. Or, l’espace romanesque confère à l’histoire ses propres imaginaires, ses propres inscriptions métaphysiques. Tamzat, la tisseuse invisible ou Tazazraït, la multi centenaire qui veille sur les burnous généalogiques des ancêtres, Zaïna qui carde sans répit la laine de ses amours, ce burnous mythique des anciens cavaliers de toutes nos Résistances à travers l’Histoire, ces personnages sont une pure création romanesque qui, par ces mythes, ces légendes, ces rites, n’est pas assujettie à l’Evénement, au réel historique. Ce réel historique n’est pas la matière première du roman. C’est un référent, un contexte sptaio temporel comme vous le dîtes. Le mythe prend de plus en plus de significations dans la critique littéraire. C’est le mythe qui fait l’œuvre, le texte, son tissage. Bien sûr, la convocation des mythes tient de la culture propre à l’individu-écrivain, à son monde référentiel livresque mais aussi à son écriture de l’intime.

    Quelques mots berbères et arabes  dans votre texte  l’Amante en italiques mais jamais expliquer en bas de texte. Y a-t-il une quelconque arrière-pensée littéraire ? 

    C’est un roman et cette technique est aujourd’hui dépassée. Dans les romans des années cinquante, les éditeurs insèrent un glossaire pour expliquer les mots « étrangers » à la langue française. Or, aujourd’hui, la linguistique textuelle montre que le mot emprunté de la langue source est compris dans son environnement syntaxique. Il n’est donc nul besoin de recourir au métalangage.

    Votre récit est quelque part esthétiquement fragmenté.  N’est –il pas à l’image d’une réalité historique déchirante ?

    Oui. Cette dimension chaotique est le propre des écrivains qui vivent dans une société en perpétuel bouleversement. Mohamed Magani, écrivain, parle d’activité sismique de l’écriture romanesque. L’écrivain haïtien, Dany Laferrière, dont le village natal, le Petit Goâve, à Port au Prince, a été complètement détruit par le séisme, n’aura sans doute pas les mêmes mots pour le dire comme il l’a fait dans un de ses premiers romans Une odeur de café. Les centres telluriques sont nombreux, les répliques autant. Mais comment maîtriser le chaos si ce n’est par sa fragmentation même.

    Les chapitres en italiques- qui viennent intercaler  le texte premier-  seraient ils  là pour saluer un texte en fragmentation ?

    Les chapitres en italique ont plusieurs fonctions : documentaire pour les carnets sur la bataille de Dien Bien Phu, épistolaire ( les lettres familiales, intimes)…Le procédé es courant et n’a pas d’originalité.

     

     


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